Il s’appelait François de Foucauld, comme le saint –
son arrière-grand cousin. Il aurait eu 50 ans quelques jours plus tard
et était prêtre depuis 18 ans dans le diocèse de Versailles. Ce vendredi
8 juillet, ses funérailles seront célébrées à 15 heures à l’église
du Vésinet, à une vingtaine de kilomètres du Bois-d’Arcy, paroisse dont
il avait été le curé pendant sept ans, de 2014 à 2021.
« Le père François de Foucauld a mis fin à ses jours. Son corps a été retrouvé cette nuit en forêt de Rambouillet », annonce le court communiqué du diocèse signé de la main de l’évêque Luc Crépy, avant de préciser « suite à des difficultés dans l’exercice de son ministère, il n’avait pas de mission depuis septembre 2021 ».
Le communiqué du diocèse apparaît d’autant plus bref que, sur les
réseaux sociaux, la mort du père François provoque de nombreuses
réactions. Beaucoup citent la tribune, rédigée par le défunt et publiée
par La Croix en décembre dernier, qui prend soudain des allures
de lettre posthume. Il y fait part d’abus de pouvoir, et détaille les
mécanismes conduisant à ces abus de la part de ses supérieurs
hiérarchiques, mais également d’un « petit cercle de clercs et laïcs autour de l’évêque qui s’arroge le dernier mot ».
Un zèle missionnaire
Sur le réseau social Facebook, certains dénoncent ses difficultés
dans son ancienne paroisse, les relations compliquées avec le diocèse ;
d’autres racontent la personnalité complexe du prêtre, dont le « tempérament
intransigeant le prêtait peu aux concessions, aux compromis, convaincu
qu’il était de son devoir de contribuer au réveil d’une Église saisie de
torpeur mortifère », écrit sur son blog personnel René Poujol, ancien directeur de l’hebdomadaire Le Pèlerin et ami de longue date du prêtre.
Tous, en tout cas, s’accordent sur le zèle missionnaire du père François, doté de « beaucoup
de qualités pastorales, ayant le souci d’une Église renouvelée,
missionnaire, qui a toujours cherché à rendre l’Église plus proche des
autres, plus vivante », rappelle Luc Crépy, évêque de Versailles, dans une vidéo publiée le mercredi 6 juillet sur le site du diocèse.
La mort de François de Foucauld a provoqué l’émotion et l’incompréhension. Mais elle a surtout choqué.
« Un
suicide est toujours dramatique. Il nous plonge dans le désarroi. Mais
le suicide d’un prêtre est encore plus rude car un prêtre est porteur
d’espérance », explique Luc Crépy dans sa vidéo, avant de préciser
« le suicide est tragique quand ce prêtre ne voit plus d’issue dans son ministère, dans sa mission personnelle et ecclésiale.
»
« On se demande ce qu’on a raté »
Supérieur du séminaire pontifical français à Rome pour encore
quelques semaines, Vincent Siret a vu défiler plusieurs générations de
prêtres. « Comme dans une famille, quand l'un de nous souffre autant
au point de prendre cette décision, ça retentit sur tout le corps. On
se demande ce qu’on n’a pas fait, ce qu’on a raté, comment on aurait pu
empêcher ça. » Pourtant, les suicides de clercs ne sont
malheureusement pas si rares. Tous se souviennent des deux passages à
l’acte en 2018 des jeunes prêtres Jean-Baptiste Sèbe et Pierre-Yves
Fumery dans les diocèses de Rouen et Orléans, à seulement quelques jours
d’intervalle.
Cas isolés ou victimes d’un système ? « Si l’on pouvait faire le
décompte des suicides depuis l’an 2000 parmi les prêtres, religieux et
religieuses, moines et moniales, membres des communautés nouvelles et
laïques en mission ecclésiale… et que l’on faisait le pourcentage de
suicides par rapport au nombre de personnes “en activité”, nous serions
horrifiés », maintient Yann Vagneux, prêtre des Missions étrangères
de Paris (MEP) actuellement en Inde et camarade de séminaire de
François de Foucauld… mais également de Jean-Baptiste Sèbe. Le prêtre
des MEP n’hésite pas à utiliser l’adjectif « structurel » pour évoquer
ce phénomène.
Ancien supérieur du séminaire des Carmes, où ont étudié entre autres
Jean-Baptiste Sèbe et François de Foucauld, Robert Scholtus fait le même
constat. « À ma petite échelle, sur plusieurs générations de
prêtres et de religieux, je compte quatre suicides de prêtres et deux de
religieux. » Tabou dans la société, le suicide l’est encore plus dans le clergé. « Il
n’y a aucune statistique, on n’en parle jamais, chaque mort est traitée
comme un cas particulier… Certes, il y a une fragilité, une
vulnérabilité personnelle préexistante. Mais je pense que le suicide des
prêtres, religieux et religieuses est un phénomène systémique. »
L’impression de n’être que des pions
Le prêtre du diocèse de Metz nuance cependant : les causes sont
multifactorielles. La vulnérabilité peut jouer, d’autant qu’être prêtre
requiert une certaine sensibilité. Mais, parmi les prêtres et religieux
qui se sont donné la mort autour de lui, Robert Scholtus reconnaît des
traits communs : « Ils avaient une ambition spirituelle, une grande
inventivité pastorale, intellectuelle, une largeur de vue. Mais, pour
des motifs différents, ils ont un jour découvert qu’ils ne pouvaient pas
aller plus loin. »
L’ancien supérieur de séminaire décrit des hommes qui ne se sont pas sentis respectés dans leur charisme, leur singularité, « qui
ont eu le sentiment qu’on abusait de leur générosité, de leur capacité
de travail. L’impression de n’être au fond rien que des pions au service
du salut de l’institution en péril. »
« Il ne faut surtout pas généraliser », insistent Bérénice
Gerbreaux et Béatrix Bréauté, toutes deux coachs Talentheo. Depuis 2006,
ce réseau de 80 coachs professionnels accompagne bénévolement des
prêtres, des évêques, des supérieurs de congrégations et leurs équipes
dans l’exercice de leur ministère. Des prêtres, elles en rencontrent
beaucoup. « Le suicide est une question très complexe. Il y aura
toujours quelque chose qui nous échappera dans cet acte d’une violence
inouïe. Toute personne en extrême souffrance peut être dépassée par des
pulsions de mort. »
Un exercice du ministère radicalement différent
Chaque suicide revêt une part de mystère. Les conditions du passage à
l’acte sont si complexes qu’il serait malhonnête d’établir un schéma
type, de chercher un responsable. Ce que l’on peut dire, en revanche,
c’est que dans une société où la religion ne tient plus le rôle social
d’autrefois, les conditions d’exercice du ministère presbytéral sont
radicalement différentes.
« Être prêtre aujourd’hui, c’est quasiment être condamné à être
un curé… Et ce curé n’a pas comme autrefois son petit village, son
église, son jardin. Il devient quasiment le petit évêque d’un territoire
immense », analyse Robert Scholtus, qui parle du presbytérat comme un « métier
de manager qui vous place dans l’institutionnel, l’organisationnel,
privant les prêtres de la relation immédiate, du contact ».
« Le rapport à l’autorité n’est plus non plus le même », insiste
Luc Forestier, professeur de théologie à l’Institut catholique de
Paris, qui lui parle de crise de l’épiscopat. L’évêque est le seul
intermédiaire entre le curé et le pape. « Le concile Vatican II
stipule que l’épiscopat est la plénitude du sacrement de l’ordre, que
l’évêque doit être pour ses prêtres un père, un frère et un juge, en
restant vigilant sur les questions d’abus. Mais c’est impossible ! Tout
dans le diocèse dépend de l’évêque ! » Des difficultés dont ces
derniers sont conscients lorsqu’ils sont nommés : le taux de refus à la
nomination d’évêque avoisinerait les 50 %.
D’autres évoquent la baisse des vocations, donc l’ordination d’hommes
parfois fragiles dont les failles s’ouvrent dans l’exercice du
ministère ;la solitude et l’isolement des prêtres imposés par le
maillage territorial étendu ; la déchristianisation ; le côté
« homme-sandwich » entre l’évêque d’un côté et la communauté paroissiale
de l’autre, le tout dans le contexte de la réforme synodale et de la
lutte contre le cléricalisme.
Certains prêtres, dotés d’une grande liberté intérieure, parviennent à
ne pas se laisser déborder par tout ça, à prendre des décisions qui
leur permettent de jouer un autre rôle, d’être pasteur… « Mais la liberté intérieure ne s’apprend pas dans les livres ! observe Robert Scholtus. Cela
nous oblige à considérer que l’effondrement du système de chrétienté
est une catastrophe au sens étymologique, c’est-à-dire qu’il nous oblige
à changer de direction, à comprendre autrement l’Église, à inventer de
nouvelles communautés plus petites et plus humbles. »
Accompagnement psychologique et spirituel
Dans ces difficultés que rencontrent les prêtres, qu’en est-il de
leur accompagnement psychologique et spirituel ? Requis dans les
communautés religieuses, l’accompagnement spirituel est seulement
conseillé aux prêtres diocésains. Nombre d’entre eux n’en bénéficient
pas – ou ne prennent pas le temps d’en bénéficier.
« Tout dépend de l’idée qu’ils ont du prêtre, explique Vincent Siret. Ils
peuvent avoir une image du prêtre surplombant, magnifique, d’un
superprêtre. C’est difficile de reconnaître qu’on a besoin d’aide. »
Néanmoins – et peut-être est-ce dû au fait que la grande majorité des
séminaires proposent un accompagnement psychologique pour les candidats
au sacerdoce –, Vincent Siret affirme que les jeunes générations de
prêtres sont beaucoup plus demandeuses d’accompagnement spirituel et/ou
psychologique. « Les jeunes, tout ce qui peut les aider, ils sont preneurs. »
« Ce que la disparition du père de Foucauld interroge, ce sont
justement les lieux où les prêtres peuvent déposer et dire leur
mal-être », insiste Béatrix Bréauté. Constatant les charges
pastorales fortes, l’épuisement, les dysfonctionnements relationnels et
surtout le besoin de partager encore davantage, Talentheo a prévu
d’ouvrir, dès l’année prochaine, des sessions pour prêtres et consacrés
ayant pour but de traiter le burn out et le pré-burn out. « Les propositions sont là. Il faut maintenant qu’ils s’en saisissent. »