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...Alors, en réponse à vos attentes, Olivier Gaignet vous propose de vous exprimer librement.
Ici, tout pourra être dit dans les limites de la courtoisie et du respect mutuel.

Merci d'avance de votre participation.


Depuis novembre 2007, Olivier Gaignet partage sur son blog ses réflexions sur Dieu et sur l’Eglise. bien sûr,
mais aussi sur la marche du monde. Il nous invite à réfléchir à des thèmes aussi essentiels que : notre société, les autres religions,
la télé, la politique, l’art, sans oublier ses propres paroissiens.
Les billets des cinq premières années (de novembre 2007 à septembre 2012 )ne figurent plus sur ce blog. Pour les consulter, se référer aux cinq volumes intitulés: "Ma paroisse.com", que vous pouvez vous procurer en envoyant un mail à : olivier.gaignet@yahoo.fr



dimanche 25 février 2024

Le Blog de l'Arche de Noé 85, n° 2921 : Quelques belles chances de survie pour l'Eglise Catholique

 Sans vouloir être pessimistes, il nous faut reconnaître que notre Eglise Catholique ne rassemble pas la foule, avec seulement 1 à 2% de pratiquants dans notre pays, la France. D'ailleurs, chacun de nous souffre énormément de ce fait. A ce sujet, honneur aux courageux cheveux blancs qui sont encore présents sur les bancs de nos églises !  Mais les autres, les jeunes, les générations actives, les personnes en difficulté ou autres, où sont-ils ?  Et pourtant, il y aurait sans doute des moyens de permettre à nos concitoyens de retrouver un lien profond avec le Christ, et de renouveler la vie de notre Eglise. Et si l'exemple des autres religions ou traditions religieuses pouvait nous éclairer ?

Prenons les Juifs par exemple.  Ce dimanche matin, l'émission de télé les concernant expliquait comment la transmission était pour eux une attitude tout à fait centrale. Savoir transmettre leur foi, c'est en effet, pour tout membre de la communauté juive, un acte fondamental ; et cela, à partir de la Parole de Dieu. 

Il n'en n'est pas de même chez les catholiques. Il est très évocateur que, dans la synthèse des réponses sur le diocèse de Luçon, par rapport au prochain Synode romain, sur 10 pages, 3 lignes seulement soient consacrées à cette question de la transmission, dans le point n° 21, avec cet aveu : "Nous n'avons pas bien transmis la foi aux jeunes..."

 L'exemple le plus douloureux étant celui du caté, pour lequel prêtres et catéchistes investissent des forces considérables. Or, chacun peut constater qu'après des années d'efforts, au lendemain de la profession de foi, sinon de la première communion, plus aucun enfant, ou presque, ne revient plus désormais participer à l'eucharistie. Voici un exemple de transmission totalement raté, mais que personne ne prend en compte ni n'analyse, et qui ne pose toujours pas question à nos responsables ecclésiaux,pas plus qu'au peuple catholique que nous formons : aucune remise en cause, ni du projet, ni des méthodes, ne semble envisagée en vérité !  Et si les catholiques acceptaient de se lancer dans un profonde réflexion par rapport à leur façon d'envisager la transmission de l'Evangile au coeur de nos familles et de notre société ?

Autre point, celui de l'écoute de l'Esprit-Saint ; j'aurais peut-être dû d'ailleurs l'envisager en premier.  Je participais jeudi dernier à une table ronde avec le pasteur protestant de Mouchamps dans le Nord-Vendée, le Père Alexis Struve, curé de la paroisse orthodoxe en Vendée et le P. de Boudemange, prof à l'Université catholique d'Angers. Tous les trois, sans s'être concertés, ont souligné que, pour que les choses s'éveillent et avancent dans nos communautés et nos institutions ecclésiales, la base était que l'on se mette ensemble à l'écoute de l'Esprit-Saint.  En effet, si l'on ne prie pas l'Esprit, si l'Esprit ne souffle pas à travers le Corps du Christ, ne nous étonnons pas que ce Corps tombe malade et qu'il risque même de mourir !

Troisième piste essentielle, qui nous est révélée surtout par nos frères protestants : comprendre que ce ne sont ni le pape, ni les évêques qui vont faire avancer les choses d'en haut, mais qu'il nous faut savoir tenir compte du sacerdoce commun des fidèles. Les protestants ont une grande habitude de donner la parole aux baptisés, de leur permettre de prendre en charge la vie de leur Eglise.  Ils évitent, chez eux, que tel choix soit le fruit de la décision d'une seule personne, fut-elle mitrée. Ils mettent en valeur ce que l'on considère comme "le sacerdoce commun des fidèles".  Ils ont compris que, quand Jésus a dit à Pierre : "Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise", Jésus voulait signifier que, à travers Pierre, c'est bien sur l'ensemble du peuple de Dieu, représenté par Pierre, qu'il voulait bâtir son Eglise.

Je pourrais continuer ainsi cette analyse, à partir de ce que peuvent nous apprendre d'autres Eglises. Mais si déjà l'on tenait compte de ces trois points, la face de notre Eglise ne serait-elle pas en possibilité de rayonner davantage de l'immense Amour du Christ ? A chacun de nous d'y réfléchir à présent, et, pourquoi pas, d'y ajouter sa propre réflexion et ses propositions, dans la lumière de l'Esprit-Saint ?  Merci !

mercredi 21 février 2024

Le Blog de l'Arche de Noé 85, n° 2920 : Qu'est-ce qui intéresse Dieu dans ma vie ?

 Quand on arrive à un certain âge, et que l'on commence à prendre le temps de faire le bilan de sa vie, la tentation est de faire la liste de tout ce qui a bien marché dans notre existence, de tout ce que l'on croit avoir fait de beau, de grand, de magnifique, d'extraordinaire même, parfois ; et cela, pour Dieu (soit-disant), pour l'Eglise (?) et un peu pour les autres aussi malgré tout...

Et alors, on se dit, comme le pharisien de l'Evangile (Matthieu 18/9-14) : "O Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, qui sont voleurs, malfaisants, adultères, (pédophiles)... ; je paie la dîme..." 

Malheureux, mais qui es-tu pour raisonner ainsi ?  Pour qui te prends-tu ?  Pourquoi cherches-tu ainsi à te valoriser ?  Pourquoi aimes-tu tant que l'on dise et redise du bien de toi ?  "Ah lui, quel bon prêtre !  On n'en n'a jamais eu un comme ça !  Nous, il nous a beaucoup aidés. Notre paroisse lui doit beaucoup !..." 

Avant qu'il ne soit trop tard, c'est le moment alors de réentendre ces paroles fortes de Jésus à son équipe de disciples (les ancêtres des prêtres d'aujourd'hui, qui ont ressenti déjà cette même tentation) : "Malheureux êtes-vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous : c'est en effet de la même manière que leurs pères traitaient les faux prophètes."  (Luc 6/26)

Aïe !  Mais alors, les choses ne sont pas simples !  Est-ce que Dieu ne serait pas content de ce qu'on a fait de bien, et en son nom s'il vous plaît ?  J'avais récemment un échange avec une paroissienne à ce sujet, et ses réflexions m'ont fait beaucoup de bien : "Est-ce que l'on ne perd pas son temps si l'on cherche à faire le compte de tout ce que l'on croit avoir fait de bien durant notre vie ?  La chose la plus belle en effet, quand on vieillit, c'est de regarder notre histoire, de la reprendre, mais de la relire autrement. Non pour y repérer ce que nous, on aurait "réussi"  -  je n'aime pas ce mot, m'a-t-elle dit  -  mais pour pour y relire comment l'Amour de Dieu a illuminé ce que j'ai vécu."

En réalité, tout homme, au soir de sa vie, recherche une reconnaissance ; il aime que ses proches  -  mais c'est rare  -  lui fasse des louanges.  Une petite médaille, cela ne fait pas de mal !  Il faut s'appeler Robert Badinter pour refuser la légion d'honneur...  Mais cette reconnaissance dont l'on pourrait rêver, on ne la trouvera jamais pleinement.  Et ce ne serait pas bon pour nous.  

Par contre, le Seigneur, lui, sait qui nous avons été réellement.  Etudions plutôt ce que Dieu a fait de nous ; regardons si nous lui avons été fidèles ?  Réjouissons-nous de ce qu'il nous ait accompagné, avec tant de patience, durant tant d'années.  Disons-lui et redisons-lui merci pour tout ce qu'il nous a permis de vivre et de faire, dans sa Lumière. Et c'est même à travers nos failles, nos blessures, nos manquements, notre péché, qu'il a pu faire de belles choses ; car Dieu s'est servi aussi de nos faiblesses pour faire grandir son Royaume !

En résumé, ne pas nous regarder nous, et contempler ce qu'on a fait, mais bien plutôt ce que Dieu a réalisé et fait grandir, à travers le tuyau percé que nous avons été.  Comme l'a si bien dit la Vierge Marie, très humblement : "Le Seigneur fit pour moi des merveilles, saint est son nom."

lundi 19 février 2024

Le Blog de l'Arche de Noé 85, n° 2919 : Alexei Navalny, figure christique de l'opprimé volontaire

L'une des fidèles de ce blog, Claude, qui habite tout près d'Ars, m'a suggéré de publier cette magnifique réflexion que vient de faire sur son blog la bibliste bien connue Anne Soupa.  Merci à toutes les deux !

 

La mort d’Alexei Navalny soulève en chacun une grande tristesse et une grande colère. Tristesse légitime car avec lui disparaît une voix qui défendait la liberté et la vérité. Colère tout autant légitime car, même si l’on ignore les conditions exactes de sa mort, on ne peut qu’y voir la conséquence de mauvais traitements répétés, surtout envers un homme à la santé altérée par l’empoisonnement subi en 2020.

Mais ce n’est pas tout. Cette mort interroge fortement le chrétien. Alexei Navalny est une figure christique, un homme de bien foudroyé par le pouvoir. Une comparaison avec le Christ vient à l’esprit. Cela fait plusieurs années que j’observe le retour de ces figures christiques dans le paysage politique et social, à cause de l’arrogance des régimes autoritaires, meurtriers des innocents et des faibles, en Chine, en Turquie, en Birmanie, en Russie, aux Etats Unis, même. Navalny en est pour moi l’illustration la plus accomplie.

Qu’a -t-il donc fait pour mériter ce titre ?

Certes, comme Jésus, il a chassé les marchands du Temple, en publiant l’inventaire des biens de Poutine : « Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce », disait Jésus. Navalny a tout simplement rappelé que ces biens avaient été volés à la Mère patrie russe. Certes, comme Jésus, Navalny a lutté pour la liberté et le respect de la parole de tous dans la gestion de la vie commune.

Mais c’est sur un troisième plan que la ressemblance nous enseigne, non sans nous troubler. Lorsque Navalny est, de son plein gré, rentré de Berlin à Moscou, en 2021, je me suis interrogée en profondeur, jusqu’à me découvrir incapable d’en faire autant. Pourquoi se mettre ainsi dans la gueule du loup ? Pourquoi courir au martyre en perdant la possibilité de s’exprimer depuis l’exil ? Pourquoi ne pas choisir l’efficacité, cette vertu chatoyante et consensuelle, moderne par excellence ?

Navalny s’en est expliqué : on ne défend pas une cause de l’extérieur, mais de l’intérieur. Il lui fallait partager le sort de tous, rester solidaire de son peuple muselé, vivre la fraternité sans chipoter, avec tous les risques qui lui sont associés. J’admire son choix, intelligent, lucide, d’un courage fou.

Jésus aussi s’est posé la question de l’utilité de son sacrifice. Bien sûr, il savait qu’il serait la victime de l’histoire, mais il ne l’a pas accepté sans douleur. Alors que Navalny pouvait -peut-être- espérer un plus grand soutien du peuple russe, ou un revirement de l’histoire, ou une faiblesse du dictateur, Jésus, lui, n’espérait rien, car sa mission était cette « Heure » de la montée au calvaire.

Lorsqu’il a appris la mort de Lazare, il était en sécurité, loin de Jérusalem où le pouvoir voulait « se saisir de lui » (Jean 10, 39). Mais, poussé par l’amitié envers Lazare mourant, il est revenu en Judée. Or, il a laissé passer deux jours avant de se décider. Pourquoi ? Il s’en explique. Enfin, si on veut, car ses paroles restent énigmatiques. En clair, il dit que son rôle est de veiller à ce que la lumière venue dans le monde brille, et que telle est sa mission. Je pense donc que cette phrase trahit son dilemme intérieur, le retour sur lui-même qu’il doit accomplir pour trouver l’élan nécessaire avant d’affronter sa Passion. Qui sait combien de jours il aura fallu à Navalny pour arriver au même choix ?

Leur sacrifice commun met au jour une réalité essentielle du christianisme qui n’est pas souvent exprimée tout haut, alors qu’elle structure chaque verset des Béatitudes, pour ne citer qu’un seul exemple. Je ne puis affirmer que l’objectif de Navalny était d’exercer un pouvoir différent de celui de Poutine. Mais sa mort prématurée le fait basculer ailleurs, dans une place christique dont il faut maintenant rendre compte. Navalny ne sera jamais un homme de pouvoir, il ne sera jamais celui qui veut, tout bonnement, être calife à la place du calife.

En rentrant en Russie, en se mettant entre les mains du pouvoir, il a fait tout le contraire. Comme le Christ, selon le mot de Paul, « s’est fait péché » (2e Lettre aux Corinthiens 5, 21), Navalny « s’est fait délinquant », hors la loi, alors qu’il n’avait pas péché. En effet, le motif pour lequel il a été emprisonné est quasiment kafkaïen : lors de son départ de Russie, en 2020, il avait omis de prévenir de son départ. Or, il venait d’être empoisonné, il était comateux, et son départ a été organisé par les autorités russes elles-mêmes…

Entrons dans cette logique christique, si difficile à comprendre. En se laissant devenir un opprimé, Navalny a obtenu des succès de taille. Devenu pareil aux autres opprimés, il a permis qu’ils soient reconnus. En secouant le manteau d’oppression qui pesait sur eux, il a réhabilité, du premier au dernier des onze fuseaux horaires qui traversent cet immense pays, tous les opposants politiques dont la cause était niée, il a fait entendre la douleur des mères en deuil de leurs fils soldats et il a redonné la parole aux quidams muselés par la peur.

De surcroît, du milieu de cette « foule immense que nul ne pouvait dénombrer » chère au livre de l’Apocalypse (7, 9), il a fait remonter à nos mémoires les innombrables visages, passés et présents, des condamnés au goulag. C’est tout le peuple russe qui, par la mort de Navalny, reçoit la couronne de lauriers du martyre. Enfin, l’existence, la dignité, la liberté leur sont rendues.

Navalny, comme Jésus, est ce qu’il faut appeler « un opprimé volontaire ». Catégorie qui déboute le pouvoir établi, en lui enlevant toute prise. Catégorie qui surprend, toujours, parce qu’elle est à rebours de nos aspirations les plus évidentes, et qui effraie, souvent, car bien peu d’entre nous veulent la partager. En somme, l’opprimé volontaire tétanise autant ceux qu’il aide que ceux qu’il dénonce, tant il montre que des chemins de contestation restent ouverts, alors qu’existe un consensus presqu’unanime -des puissants, des victimes et des disciples éventuels- pour les tenir fermés. Ce n’est pas sans motif sérieux que les disciples ont fui lors de la Passion !

De ce saut, impossible à la plupart d’entre nous, vient l’auréole de l’autorité morale dont, un jour, on couronnera l’opprimé volontaire. Le pouvoir qu’il en tire est construit à l’exact rebours de l’ambition personnelle : en prenant la place du dernier opprimé, il éclaire les abus de pouvoir des puissants, par une contestation radicale, entière, mais à peine visible, tant les puissants la méprisent. Et la tragédie s’ajoute au crime quand on constate que ceux pour qui Navalny s’est laissé menotter sont tellement sous l’emprise de la peur qu’ils risquent de ne jamais se rendre compte de tout ce que le pauvre exilé tout au nord, près du pôle, là où la vie est réputée impossible, aura enduré pour eux.

Il est enfin facile de superposer procès de Jésus et procès de Navalny. Les mêmes ingrédients y figurent : accusations infondées, silence de Jésus et humour de dérision de Navalny, humiliations, mauvais traitements et sévices des gardiens, mensonges de part et d’autre.

Enfin cette comparaison fait naître une dernière question, qui me taraude : qui, en ces jours sombres, va prendre soin du corps de Navalny ? Aux dernières nouvelles, on le dit introuvable. Navalny aurait-il dépassé Jésus dans le malheur, qu’on ne puisse même pas rendre hommage à sa dépouille ? Pilate était moins cruel…

En somme, quel fruit tirer de cette comparaison entre les deux hommes ? Jésus illustre cette figure humaine fondamentale qui se dresse contre l’inhumanité de la servitude. Il est ce topos, cette ressource dont le monde a un besoin vital. Alexei Navalny en est une résurgence, et il y en a d’autres. L’un comme l’autre réaffirment au prix de leur vie que l’homme est appelé à la liberté et que c’est lui faire honte que de l’oublier. Grâce leur soit rendue.

Anne Soupa






 

Le Blog de l'Arche de Noé 85, n° 2918 : La foi de Navalny

 Merci au journal "La Vie" qui présente cet intéressant article, sous la plume éclairée de Pierre Jova :


« Hourra ! Le Christ est ressuscité. La vie et l’amour ont gagné. » Ce 2 mai 2021, depuis la colonie pénitentiaire où il est emprisonné, Alexeï Navalny publie sur les réseaux sociaux un message pour la fête de Pâques selon le calendrier orthodoxe russe. « Je salue tout le monde : les croyants (que je suis maintenant), les non-croyants (que j’étais) et les athées (que j’étais également) », écrit l’opposant numéro 1 au régime.

Mort dans une prison de l’Arctique le 16 février 2024, celui qui faisait trembler les murs du Kremlin à la tête de la Fondation anticorruption était revenu au christianisme orthodoxe à l’âge adulte, et sa foi joua un grand rôle dans son militantisme.

« Je ne sais plus de quoi parler, Monsieur le juge. Si vous voulez, je vous parlerai de Dieu et du salut », avait lancé Alexeï Navalny à ses juges, lors du procès qui servit de prétexte à son incarcération, le 20 février 2021. « Le fait est que je suis chrétien, ce qui fait de moi la risée de la Fondation anticorruption, car la plupart de nos membres sont athées et j’ai moi-même été un athée militant. Mais aujourd’hui, je suis croyant et cela m’aide beaucoup dans mes activités, car tout devient beaucoup, beaucoup plus facile. Je réfléchis moins », témoigne le dissident, faisant référence à la Bible : « Il y a moins de dilemmes dans ma vie, parce qu’il y a un livre dans lequel, en général, il est plus ou moins clairement écrit ce qu’il faut faire dans chaque situation. Il n’est pas toujours facile de suivre ce livre, bien sûr, mais je m’y efforce. Ainsi, comme je l’ai dit, il est probablement plus facile pour moi que pour beaucoup d’autres de m’engager en politique. »

Baptisé en secret par sa grand-mère

Né en 1976 d’un père militaire, Alexeï Navalny avait été baptisé en secret par sa grand-mère ukrainienne. Il a été un des maillons de cette chaîne invisible déployée depuis le début des persécutions soviétiques par des babouchkas qui administraient le baptême à leurs petits-enfants – ou appelaient un prêtre en cachette. Elles étaient animées d’une piété à la simplicité biblique, parfois un peu superstitieuse, et n’avaient rien à perdre. Ces grands-mères se débrouillaient ensuite pour leur transmettre un minimum de vie spirituelle : se signer devant une icône, allumer un cierge… Ce sont elles qui ont maintenu à flot le christianisme orthodoxe en Union soviétique.

Le dernier président de l’URSS Mikhaïl Gorbatchev avait lui-même été baptisé en secret enfant. Tout comme Vladimir Poutine, emporté un mois après sa naissance en 1952 par sa mère et une voisine à la cathédrale de la Transfiguration de Leningrad. Ces baptêmes sous le manteau ne faisaient pas pour autant des chrétiens pratiquants. « Jusqu’à l’âge de 25 ans environ, lorsque je suis devenu père, j’étais un athée tellement enragé que j’étais prêt à attraper n’importe quel prêtre par la barbe », confia Alexeï Navalny, dans un long entretien accordé à l’écrivain – et opposant – Boris Akounine.  C’est à la même époque que le jeune avocat moscovite devient opposant au régime, chez les libéraux du parti Iaboko (« pomme »), puis les nationalistes de « la Marche russe ».

« Je ne connais pas ma religion aussi bien que je le voudrais, mais j’y travaille »

Avec Boris Akounine, Alexeï Navalny évoque sa foi avec une désarmante candeur. « J’ai honte de dire que je suis un croyant post-soviétique typique – j’observe les jeûnes, je me signe quand je passe devant une église, mais je ne vais pas souvent à l’église. Lorsque mes amis se moquent de moi parce que j’ai commandé une salade de légumes « parce que c’est un jour de jeûne », et qu’ils m’interrogent sur la signification de tel ou tel jeûne, je me sens vite dépassé, et ils se moquent de moi comme d’un « orthodoxe de pacotille, qui ne connaît rien à sa religion ». C’est vrai, je ne connais pas ma religion aussi bien que je le voudrais, mais j’y travaille », explique-t-il. Cet accent de sincérité tranche avec les dignitaires économiques et politiques russes qui ne manquent pas de parader à l’office.

« Je ne pense pas que je puisse faire de ma foi religieuse un atout politique – ce serait tout simplement ridicule. Je ne fais pas de publicité pour ma foi et je ne la cache pas non plus ; elle est là, c’est tout », ajoute Navalny, précisant que son appartenance à l’orthodoxie ne l’empêche pas de chercher la compagnie des athées. « Je suis croyant ; j’aime être chrétien et membre de l’Église orthodoxe, j’aime sentir que je fais partie de quelque chose de grand et d’universel. J’aime le fait qu’il y ait un ethos distinctif et un certain ascétisme. Mais en même temps, je suis très heureux de vivre dans un milieu majoritairement athée. Il est normal qu’il y ait des gens religieux, et il est normal que certains se moquent de la religiosité. Les blagues sur la religiosité dans The Simpsons et South Park sont excellentes et ne m’offensent pas le moins du monde. »

« Je ne regrette pas d’être revenu »

Croyant distancé, Navalny était semblable à ses contemporains. Les Russes sont certes revenus à la foi après la chute du communisme, mais leur attachement est avant tout identitaire : sur 72 % de la population se déclarant orthodoxes, seules 1,4 million de personnes ont assisté à la liturgie de Noël le 7 janvier 2024, soit moins de 1 % du pays. De nombreux prêtres sont conscients du décalage entre la religiosité affichée et la réalité des comportements. L’Église orthodoxe russe est tiraillée entre une frange – hier assez influente auprès du patriarche de Moscou Cyrille – qui cherche à proposer une foi assez solide pour s’ouvrir à la modernité, et des cercles intégristes à faire pâlir les pharisiens de l’Évangile. Prenant la défense des Pussy Riots, groupe féministe ayant chanté une « prière punk » contre Poutine dans la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou en 2012, Navalny s’était aliéné les traditionalistes orthodoxes.

Lui qui se sentait assez libre pour plaider la cause de « blasphématrices » l’était tout autant pour respecter la place privilégiée de l’orthodoxie russe. « Nous ne devrions cependant pas nier le fait évident que la religion de la Russie est le christianisme orthodoxe », dit-il à Boris Akounine, tout en précisant que cela n’impliquait « aucune discrimination à l’égard de quiconque ». Le dissident n’était pas dupe de l’allégeance du clergé à l’égard du régime. « La position de l’Église orthodoxe à cet égard est que tout pouvoir vient de Dieu et qu’elle soutiendra donc celui qui est au pouvoir. Il faut être philosophe à ce sujet », balayait-il avec une étonnante simplicité, estimant « très peu probable » que l’Église joue un rôle dans une révolution pacifique. « Mais j’aimerais que l’Église orthodoxe occupe une position dans la société qui permette aux parties en conflit de rechercher et d’accepter sa médiation. »

« Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés »

Victime d’un empoisonnement en août 2020 et hospitalisé à Berlin, Alexeï Navalny aurait pu choisir l’exil et la liberté. Il choisit de retourner en Russie en janvier 2021, marchant consciemment vers la condamnation – et une mort certaine. Le journaliste Alexandre Morozov le compara au prophète Jonas, acceptant d’être jeté par-dessus bord dans la gueule de la baleine.

« Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés » (Matthieu 5, 6), cita Navalny lors de son procès : « J’ai toujours pensé que ce commandement particulier était plus ou moins une instruction d’activité. Ainsi, même si je n’apprécie pas vraiment l’endroit où je me trouve, je ne regrette pas d’être revenu, ni ce que je fais. Tout va bien, parce que j’ai fait ce qu’il fallait. Au contraire, j’éprouve une réelle satisfaction. Parce qu’à un moment difficile, j’ai fait ce qui était demandé par les instructions et je n’ai pas trahi le commandement. »

Dans une Russie déjà verrouillée avant l’invasion de l’Ukraine, Alexeï Navalny a renoué avec la tradition orthodoxe des fols-en-Christ, clochards célestes qui interpellent le Tsar et les autorités religieuses au nom de l’Évangile. « Ces hypocrites qui mettaient les gens en prison parce qu’ils possédaient une Bible, mais qui se bénissent eux-mêmes dans les temples aujourd’hui », écrivit-il en 2023 sur Twitter, ciblant directement l’ancien officier du KGB au pouvoir à Moscou… Dans la déclaration aux allures de prêche qu’il fit à ses juges, Navalny affirmait qu’il ne se sentait pas seul en prison.

« Et je vais vous expliquer pourquoi. Cet enseignement – « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés » – semble quelque peu ésotérique et étrange, mais il s’agit en fait de la doctrine politique centrale de la Russie moderne. Monsieur le juge, qu’est-ce que cette phrase ou ce slogan, le slogan politique le plus important en Russie ? Où se trouve le pouvoir ? Le pouvoir réside dans la vérité. C’est ce que dit cet enseignement. C’est ainsi qu’il pourrait être résumé en un tweet, en omettant les mots inutiles tels que « de » et « soif ». C’est ce qu’il signifie essentiellement. Et le pays tout entier répète dans de nombreuses permutations différentes que le pouvoir réside dans la vérité, et que quiconque détient la vérité sera victorieux. » Et le fol-en-Christ d’annoncer : « Des dizaines de millions de personnes veulent la vérité. Ils veulent connaître la vérité et, tôt ou tard, ils y parviendront. Ils seront satisfaits. » Ainsi, avait-il prophétisé, « la Russie sera heureuse. »


samedi 17 février 2024

Le Blog de l'Arche de Noé 85, n° 2917 : Nous pleurons la mort d'un Juste, en Russie : Alexis Navalny

Cher Alexeï Navalny,

Ils vous ont tué.

Aujourd'hui, nous sommes des millions à pleurer aux côtés de votre famille et à célébrer votre mémoire.

Il n’y a pas de mots pour décrire votre courage : votre courage est celui que tous les dictateurs craignent le plus, celui qui inspire les hommes et les femmes à se soulever contre la tyrannie.

Et vous lavez payé par le plus grand des sacrifices : d'abord l'empoisonnement, puis la prison et maintenant la mort.

Notre monde retient son souffle alors que la guerre fait rage en Ukraine et au Proche-Orient. Dans ces temps troublés, votre héritage nous donne de la force. Nous ne regarderons pas ailleurs pendant que nos démocraties sont menacées.

Reposez en paix,

Des hommes et des femmes venus du monde entier
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                                                        ______________________
 
A l'initiative de Aavaz, le message ci-dessus, à l'heure où j'écris ce billet, ce samedi 17 février à 19h, a déjà été signé par 355.612 personnes, du monde entier.  
 
 Pour info, Avaaz est un réseau citoyen international de 70 millions de membres qui mène des campagnes pour que les opinions et les valeurs de ses membres pèsent sur les décisions internationales. Avaaz signifie "voix" en Asie centrale. Ses membres viennent de tous les pays ; l'équipe est répartie sur 18 pays et 5 continents et travaille dans 17 langues.
Adresse :  avaaz@avaaz.org
 
Comme  nombre de concitoyens du monde entier, je suis très triste.  Je ne rajouterai pas de commentaires à tout ce que les médias nous partagent à propos de cet événement.  Par contre, comment ne pas être tenté de dire que tout est fini, qu'il n'existe plus aucun espoir en terre de Russie ?
 
Mais s'exprimer ainsi, ce serait n'avoir rien compris au message que nous laisse Alexis Navalny. Cet homme n'était-il pas un ouvrier de l'espérance ? Il a fait son devoir, et il nous invite tous à présent à prendre la relève, à être nous aussi, comme lui, à sa suite et à son exemple, des artisans de la paix du monde. 

Je retrouve une certaine parenté entre ce que vivait Navalny et le discours à la jeunesse adressé aux lycéens d'Albi en 1903, par Jean Jaurès, assassiné lui-même le 31 juillet 1914, à la veille de la Première Guerre Mondiale par un nationaliste :

"Le courage, c'est de dominer ses propres fautes, d'en souffrir mais de n'en être pas accablé et de continuer son chemin.  Le courage, c'est d'aimer la vie et de regarder la mort d'un regard tranquille ; c'est d'aller à l'idéal et de comprendre le réel ; c'est d'agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l'univers profond, ni s'il lui réserve une récompense.  Le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire ; c'est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques."
 
Enfin, je me permets de souligner que plusieurs commentateurs, pas forcément croyants, ont souligné que Navalny était une figure "christique" ; en effet, à l'image du Christ, malgré les risques encourus, il avait fait le choix de retourner en Russie, pour pouvoir défendre de façon crédible la liberté du peuple russe, plutôt que de rester à l'abri en Allemagne. C'est quelqu'un qui, en toute connaissance de cause, avait fait le choix de donner sa vie. Dans un tel cas, la mort change de registre et de nature ; elle devient comme une ouverture par laquelle passe une qualité de témoignage et une force de libération.  Alors, la mort n'est plus seulement quelque chose de terrifiant ; mieux encore, elle n'a plus aucun pouvoir.  Au lieu d'être une force négative, elle devient une force infiniment agissante et indispensable, dans l'aventure de la vie et l'ouverture vers la liberté.  Les exemples de Manouchian, de Beltrame, à la suite de Gandhi et de Martin-Luther King, en sont d'ailleurs des exemples semblables, également éclatants. 

"... Alors se réalisera la parole de l'Ecriture : "La mort a été engloutie dans la victoire. Mort, où est ta victoire ?"... Rendons grâce à Dieu, qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus-Christ.  Frères bien-aimés (...), votre peine n'est pas vaine dans le Seigneur".  (1 Corinthiens 15/54-58)

mercredi 14 février 2024

Le Blog de l'Arche de Noé 85, n° 2916 : La sépulture de Gilbert, vécue dans dans l'action de grâce

 D'habitude, qui dit sépulture dit tristesse, silence, visages fermés, rituel vécu dans une certaine souffrance... Et cela se comprend ! La mort n'est-elle pas une horrible mangeuse d'hommes ?  Et, pour la plupart des humains, une douleur immense ! Montaigne disait d'ailleurs : "La mort, on s'en signe comme du nom du diable !"

En tout cas, tel n'a pas été le cas lors de la sépulture du prêtre Gilbert Bossis lundi dernier, en l'église de son baptême, à St André Treize Voies. Déjà, avant la cérémonie, une chorale bien étoffée répétait des airs qui ne ressemblaient en rien à des chants d'enterrement. Une autre atmosphère était déjà ainsi créée.  Et il nous fut annoncé, dès le très bref mot d'accueil, que nous allions vivre cette cérémonie dans la joie et l'action de grâces.

Nous avons été mis au parfum dès le chant d'entrée, que nul n'avait jamais entendu lors d'une sépulture : "Tu es là, au coeur de nos vies, et c'est toi qui nous fais vivre..."  Malgré le départ de Gilbert, nous n'étions pas dans la tristesse ; la fête était là. Et cela s'est prolongé tout au long de la cérémonie : aucun des chants  habituels prisés lors des enterrements, et des lectures absolument pas tirées du rituel officiel des funérailles. Sans parler d'une prière universelle axée sur l'Espérance ; et, cerise sur le gâteau, comme chant final, le fameux cantique de la Création de Patrick Richard : "Mon Dieu, tu es grand, tu es beau, Dieu vivant, Dieu très haut, tu es le Dieu d'Amour..."

Merci, cher Gilbert, de nous avoir fait partager ta foi immense en la Résurrection.  Et si cela pouvait nous inviter à vivre autrement nos célébrations de sépultures ?  Sacha Guitry disait que "la plupart des gens disparaissaient sans que l'on prenne conscience de l'importance de leur rôle sur la terre."  Quel dommage !  Alors que pourtant, toutes ces vies qui s'en vont auraient des choses à nous dire... ; mais prenons-nous le temps de les rechercher ?  C'est seulement dans ce cas en effet que nous pouvons comprendre cette surprenante prière de saint François d'Assise sentant venir sa fin ; il avait ajouté ceci, un dernier verset à son "Cantique du Frère Soleil" : "Loué sois-tu, Seigneur, pour notre soeur la mort corporelle, à qui nul être vivant ne peut échapper."

Puissions-nous, au moment de notre mort, pouvoir nous écrier, à la suite de St François d'Assise, de Patrick Richard, de Gilbert Bossis et de tant d'autres :

"Par cette main tendue, qui invite à la danse, 

Par ce baiser jailli d'un élan d'espérance,

Par ce regard d'amour qui relève et réchauffe, je veux crier :

Mon Dieu, tu es grand, tu es beau, 

Tu es le Dieu d'Amour !" 

dimanche 11 février 2024

Le Blog de l'Arche de Noé 85, n° 2915 : La maladie est-elle le signe d'un échec, ou une 2ème chance ?

 En cette journée mondiale de la santé et de prière pour les malades et les soignants, difficile d'aborder un autre sujet que celui de la maladie.  Mais quand on parle de celle-ci, c'est un sentiment d'échec qui apparaît sur le champ : tu es malade, donc tu as raté quelque chose ; peut-être as-tu abusé des choses de la vie ?  As-tu pris le temps de te reposer durant ton existence ?  As-tu cru que pour toi, tout était possible ?  N'as-tu pas veillé suffisamment sur ta santé ?

En tout cas, ce que l'on constate lorsque surgit une maladie, et particulièrement lors d'une maladie grave, c'est un sentiment d'échec qui peut nous envahir, suivi parfois d'un effondrement : "Ca y est, ma vie est foutue !  Je ne m'y attendais pas du tout !  Je suis pourtant encore jeune. Déjà ?  C'est injuste", se dit-on ! Et il n'est pas aisé d'aider un malade à redresser la tête, et à ne pas se laisser écraser par ce qui l'atteint ! Pour l'entourage, ce n'est pas facile à vivre non plus !

Question : Et si notre maladie avait un sens ?  Et si c'était alors notre corps qui nous donnait un avertissement, pour que nous reprenions notre vie en main, pour que nous nous comportions autrement, de façon plus saine et plus équilibrée ?  Je reprends mon cas par exemple.  Depuis mon ordination en 1967, pendant 55 ans et plus, j'ai vécu et agi à 120 à l'heure, sans avoir jamais été malade, même pris d'une simple grippe, ni atteint du paludisme entre autres durant mon séjour de 9 années au Mali, sans jamais m'être arrêté, ne serait-ce qu'une seule journée, pour cause de fatigue ou de maladie.J'en étais fier !  Mais était-ce normal ?  N'ai-je pas abusé de frère âne ?  Comment pourrais-je être surpris à présent d'avoir un coeur extrêmement fatigué, inopérable aujourd'hui ?

Pour moi en tout cas, la maladie, ce n'est pas un échec, mais bien plutôt, un signal d'alarme, un appel à prendre le temps de respecter mon organisme, de permettre enfin à mon pauvre coeur de souffler un peu avant de s'arrêter définitivement, après avoir été tellement maltraité, ignoré, mis de côté pendant tant d'années.

Mais là, mon coeur vient de se révéler, de se réveiller et de m'alerter par rapport à la façon dont je l'ai agressé ; merci à lui ! Car s'il m'a lancé un tel appel, c'était pour me défendre contre moi-même, et pour me sauver !  Mon insuffisance cardiaque actuelle a donc un aspect positif, celui de mettre mon organisme en position de lutte pour retrouver la santé. Ma maladie cardiaque n'est donc pas un échec, mais une réaction de défense positive, pour m'inviter à changer mon rythme de vie, dans le but, sinon de guérir, du moins, de ne pas être passif face au mal, et pour éviter l'effondrement.

Evidemment, pour beaucoup d'autres malades, cela ne va se présenter comme pour moi. Et tout cela est beaucoup plus difficile à vivre quand la souffrance est trop forte... Mais c'est à chaque malade de se demander, avec l'aide de ses soignants, comment il peut réagir au mieux face à l'agression de la maladie.

Pour que cette maladie, cette souffrance, ne soient pas pour lui un échec, mais l'occasion de vivre debout face au mal, quoiqu'il arrive ; avec le soutien merveilleux de ses proches, de ses soignants et, si tel est le cas, de sa foi profonde au Christ vainqueur de tout mal !

jeudi 8 février 2024

Le Blog de l'Arche de Noé 85, n° 2914 : "Un autre te conduira..." (Jean 21/18)

 Depuis un an environ, je mâche et remâche ce verset de St Jean (21/18) où il nous est dit ceci : "Jésus dit à Pierre : "Pais mes brebis. En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu nouais ta ceinture et tu allais où tu voulais ; lorsque tu seras devenu vieux, tu étendras les mains et c'est un autre qui nouera ta ceinture et te conduira là où tu ne voudrais pas."

En ce qui me concerne, et ce n'est pas forcément facile à accepter, ce moment est arrivé pour moi !  Depuis ma crise cardiaque, avant Noël 2022, je ne vais plus où je veux, quand je veux. Me voici dépendant de l'âge et de la maladie. Evidemment, je suis loin de m'en plaindre, car il y a tellement plus malheureux. Et comme disait l'autre, "Si en te réveillant le matin, tu ressens des douleurs, c'est le signe que tu es encore en vie !"

Depuis un an en tout cas, fin des grandes virées en voiture, comme pour aller faire ma retraite dans les Alpes, au sanctuaire de la Salette, où je me rendais chaque année ces derniers temps. Finies les responsabilités que j'exerçais encore, comme par exemple, délégué diocésain pour les relations avec les Juifs et pour l'oecuménisme. Arrêt de tous les services pastoraux, messes dominicales à assurer, baptêmes, mariages, sépultures, sur la paroisse de Talmont.  Mise en veilleuse de ma participation aux rencontres du MCR, du Secours catholique, etc...

En raison de la fatigue occasionnée, je viens aussi d'arrêter l'entretien de ma maison (balayage, serpillère, vitres...), mais aussi lessive, repassage.  J'arrête également de préparer ma nourriture, et fais venir mes repas désormais.  Tandis que des paroissiens se présentent toujours comme disponibles pour faire mes courses ou me conduire à l'hôpital ou ailleurs au besoin, ce que je trouve vraiment très solidaire !  Et j'ai surtout fait le choix d'une "Assistante de Vie", hyper efficace et compréhensive, Dieu merci !

Comme me l'a dit mon médecin traitant : "C'est bien que vous ayez fait tous ces pas. De tels choix montrent que vous avez accepté votre maladie ! A vous de trouver une nouvelle façon de vivre, plus cool et plus paisible désormais !"

En effet, et j'en ai pris mon parti, il ne s'agit plus seulement pour moi de bouger, de faire, d'être visible, d'organiser, de faire valoir mon point de vue, de jouer un rôle, tant dans la société que dans l'Eglise ; mais bien plutôt, d'être, d'exister tout simplement, de prendre enfin le temps de prier plus longuement, de me reposer, d'écouter, d'aimer.

Jésus en même temps, et même d'abord, avait pris le soin de dire à Pierre : "Pais mes brebis !"  J'entends cet appel, par lequel je me sens aussi concerné. J'essaye d'y répondre par la prière, mais aussi par l'écoute des personnes qui passent, et souhaitent être entendues, comprises et accompagnées ; or, j'ai du temps pour cela.  Et je dispose aussi de ce blog, dont les audiences augmentent, ce qui veut aussi dire quelque chose.

Finalement, s'il peut sembler humiliant à divers points de vue de ne plus pouvoir en faire autant que d'autres pourtant plus âgés que moi, si la maladie fait de moi un être fatigué en permanence, pourtant, tout n'est pas perdu !  En effet, la Mission continue, même si elle doit se vivre désormais autrement. Avec un immense merci à tous ceux et celles qui m'épaulent et me soutiennent sur ce nouveau chemin !

vendredi 2 février 2024

Le Blog de l'Arche de Noé 85, n° 2913 : "Ah bon, votre père était "un glaiseux" ?"

 Je suppose que dans notre histoire, chacun de nous traîne quelques mauvais souvenirs ! Permettez-moi de vous en partager un. C'était en septembre 1988.  Après neuf années vécues comme missionnaire au Mali, je venais d'être nommé, par la Conférence des évêques de France, responsable de la Mission Universelle dans notre pays, ainsi que du suivi des 150 prêtres Fidei Donum envoyés aux quatre coins du monde, Amérique latine non comprise. J'atterrissais ce soir-là à la maison diocésaine de Paris, rue Vaneau. Je me suis retrouvé alors en "compagnie" d'une quinzaine de prêtres, tous comme moi en diverses responsabilités nationales. Ceux-ci m'ont demandé qui j'étais, d'où je venais, quelles étaient mes origines. Lorsque j'ai fait savoir que j'étais fils d'agriculteur, l'un des prêtres présents, sulpicien, ami du nonce apostolique, réagit alors ainsi : "Ah bon, votre père était un glaiseux ?"  L'instant d'une seconde, je me suis demandé comment ce prêtre, apparemment intelligent, pouvait réagir ainsi, et si c'était du lard ou du cochon. Mais il n'avait pas du tout l'air conscient, ni gêné de ce qu'il venait de dire. Et moi de lui répondre alors, calme, mais courroucé : "Oui, mon père était un glaiseux, et j'en suis fier !"  Il se fit alors un grand silence autour de la table et, un peu susceptible, je crois me souvenir que j'ai fait une sale tête pendant le reste du repas, conscient de me trouver entouré de prêtres d'un tout autre milieu, supérieur bien entendu, comme j'ai pu le vérifier ensuite, dans ce monde parisien.  J'ai découvert d'ailleurs assez vite que j'étais le seul à être originaire du monde agricole, au sein de cet aréopage.

J'oubliais ! Tout à fait gentiment c'est vrai, mais totalement inconscients, ils ont ensuite eu le culot de me demander si je disposais d'une maison en bord de mer, "moi qui avais la chance de vivre en Vendée", pour pouvoir m'y reposer !!! Je tombais vraiment de haut !

Si je raconte ce souvenir, c'est en lien, bien sûr, avec ce que vivent les agriculteurs aujourd'hui. Rien n'a changé ! Il y a toujours une intelligentsia qui prétend savoir comment gérer les problèmes du monde paysan et qui continue de les regarder de haut.  Que ne leur reproche-t-on pas ?  Inutile que je vous fasse la liste de ce dont on accuse ces maudits "glaiseux" !  Par contre, il semble que la plupart des gens les soutiennent ; mais, face aux agriculteurs incompris depuis trop longtemps, les responsables politiques, très forts en paroles, ne sont manifestement pas à la hauteur quand il s'agit de passer aux actes. Question : quand nos responsables vont-ils enfin prendre en compte leurs raisonnables doléances ?

Il y a urgence en effet.  Pour ne prendre qu'un exemple, selon la MSA, la sécurité sociale agricole, il existe 31% de suicides en plus chez les agriculteurs que dans le reste de la population. C'est d'ailleurs l'une des principales causes de décès dans la profession.

Les études montrent que, depuis les années 60, les agriculteurs se suicident davantage. Les chiffres font état d'un suicide d'agriculteur tous les deux jours en France, soit 180 par an, une tendance qui ne cesse de croître. Les agriculteurs ont le sentiment de travailler énormément pour un très faible salaire. Un ensemble de facteurs qui s'ajoutent aux contraintes économiques ; les agriculteurs sont en effet soumis aux prix du marché qui leur échappent, sans parler des contraintes environnementales et climatiques.  Les dettes qui s'accumulent peuvent conduire à la dépression.

Lorsque l'on est originaire du milieu rural, et que l'on a vu ses parents, ses frères et soeurs parfois aussi, se lever à des heures impossibles, se battre contre l'administration et les éléments, l'on ne peut que souhaiter que l'on rende enfin justice à ce monde si utile, mais trop délaissé. Les "glaiseux" eux aussi ont le droit de vivre, de respirer, de gagner leur pain à la sueur de leur front et de servir notre pays !  Merci pour eux !