Les "bienfaits" de la colonisation ! Et si quelqu'un venait s'installer chez moi, pour soit-disant me civiliser, tout en me volant mes terres, restant là pendant 150 ans, me battant dès que j'ose élever une protestation, est-ce que je continuerais à prétendre que la colonisation a tout de même eu de bons côtés ?
Nombre de téléspectateurs ayant suivi, mardi soir 6 octobre, sur France 2, le documentaire intitulé "Décolonisations, du sang et des larmes", malgré l'ampleur et la complexité du problème, je me suis résolu à faire un billet à ce sujet, qui sera forcément très incomplet. Cette soirée exceptionnelle, qui s'est terminée après minuit, avait pour but de "lever le dernier grand tabou de l'histoire en France : les décolonisations françaises en Asie et en Afrique".
Un tabou solide en effet ! Car dans notre pays, oser remettre en cause les bienfaits de la colonisation, tels que ceux-ci nous ont été enseignés dans les écoles de la République depuis un siècle et au-delà, cela est considéré comme une attaque directe du nationalisme français, un combat perfide contre la France.
Cependant, l'objectif de ce documentaire n'était en rien de dénigrer sans raison notre pays, mais tout simplement d'avoir le courage de regarder ce passé, de l'affronter, de ne pas se voiler la face sur cette période de notre histoire. A quoi bon remuer tout cela, pensent certains ? Parce qu'il est de l'honneur d'un pays de savoir reconnaître ses erreurs, même si on ne peut pas corriger le passé. Et parce que, comme l'a dit le leader antillais Aimé Césaire : "une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde." Alors que la France a voulu préserver l'universalisme des Lumières (!), et ne montrer que ce qui valorisait son histoire coloniale, tout en en cachant soigneusement les échecs et les ratés.
Or, ce n'est pas mentir, ni exprimer des choses inexactes que de souligner des faits historiquement vérifiés, même s'ils nous ont été longtemps cachés. Le documentaire a rappelé par exemple que la construction de la voie ferrée "Congo-Océan", par le travail forcé, a fait 20.000 victimes. Durant les deux guerres mondiales, de très nombreux Africains ou Asiatiques ont eu le droit de venir se battre pour la France, mais ils n'avaient pas le droit de voter. A Thiaroye, près de Dakar, quand les tirailleurs sénégalais, à leur retour du front, en 1944, ont réclamé leur solde, la troupe leur a tiré dessus sans sommations, faisant plus de 50 mort et condamnant les survivants à la prison. En Indochine, on a utilisé le napalm, de même que sur les villages au Cameroun, lors d'une terrible guerre qui fut éclipsée par celle d'Algérie, à la fin des années 50, alors qu'elle a fait des dizaines de milliers de morts. Et la place me manque pour évoquer les "Oradours malgaches", tandis que les prisonniers malgaches étaient jetés vivants du haut des avions sur les villages rebelles : plusieurs dizaines de milliers de morts. Je ne reviendrai pas sur les guerres en Indochine et en Algérie, encore bien plus terribles, mais mieux connues, quoique... Aux Antilles aussi, en mai 67, les gendarmes ont tiré sur les Guadeloupéens, faisant plus de 60 morts ; mais cela également a été occulté ! Etc.
Vous allez me dire : mais enfin, grâce à la colonisation, tous ces pays ont pu profiter d'un certain développement, de l'éducation, etc... Quelle hypocrisie ! 8% seulement des enfants de l'Empire ont pu aller à l'école : "on nous a appris à avoir honte de notre culture, de nos rites religieux, pour adopter le langage et la culture du colonisateur." Quant aux infrastructures, réalisées, rappelons-le, par le travail forcé, elles n'avaient pour but que de faciliter l'exploitation économique du pays, au profit de la métropole. 40 territoires étaient sous domination française ; on les a exploités plutôt qu'on les a mis en valeur. Et pour être certain que nul n'échapperait au travail forcé, on marquait les hommes au visage avec une lame de rasoir. A la fin de la guerre d'Algérie, le gouvernement français ayant interdit d'accueillir les harkis en France, des dizaines de milliers furent assassinés !
Et pendant ce temps, dans les années 47-48, tandis que l'on massacrait les Malgaches par dizaines de milliers, la France se gargarisait en se considérant comme une actrice essentielle de la Déclaration universelle des Droits de l'homme signée à Paris, au Palais de Chaillot ; or, le pays des Droits de l'homme était un pays qui, un peu partout, réprimait la liberté ! Mais peu à peu, alors que la France ne voulait rien lâcher, l'Empire s'est effondré. En Algérie, aucune rébellion ne devait être tolérée, et les colons n'imaginaient pas que les Arables puissent être indépendants, tandis que la torture entachait l'image de la France. Quant on pense à qu'il a été envoyé en Algérie plus d'un million et demi de jeunes Français, faire une guerre qui n'était pas la leur... ; avec tous les traumatismes que cela a entraîné, et qui ne sont toujours pas réglés ! Dans tous les territoires, les autorités françaises, incapables de gérer la crise autrement que par la force et la violence, ont tout fait pour décapiter les chefs indépendantistes. Mais comme l'Empire se disloquait peu à peu et se fissurait de toute part, la France n'a eu d'autre choix que d'accepter les indépendances, à son corps défendant.
Mais l'Etat français n'a pas été beau joueur dans cet effort de décolonisation. La France n'a jamais renoncé totalement à son pouvoir sur ces territoires perdus ; au contraire, elle s'est acharnée à préserver sa domination. Sa tactique : placer des amis de la France à la tête des pays indépendants, tout faire pour que ce soit des leaders politiques qui jouent la carte de la France (Houphouët, Ahidjo,...). On a appelé cela "la françafrique", l'un des grands scandales de la République. L'on peut continuer à piller les richesses... Depuis les origines, nombre des présidents Africains des anciennes colonies sont les gardes-chiourmes des intérêts de la France, qui est d'ailleurs intervenue au moins une vingtaine de fois depuis la décolonisation dans les affaires de divers Etats. Encore aujourd'hui, la France place ses hommes et oeuvre à neutraliser les opposants.
Cela tandis qu'elle gère à présent seulement quelques débris de son Empire, 4% de la population française, répartis en 12 territoires, qu'elle ne veut pas lâcher : des territoires qu'elle a placés sous perfusion, en souhaitant bloquer ainsi les éventuels ou réels désirs d'indépendance ou d'autonomie, dans un néo-colonialisme d'un autre âge. Ainsi, elle a muselé le leader indépendantiste Paul Vergès à la Réunion par exemple. D'ailleurs, la départementalisation n'a été et n'est encore qu'un leurre.
Tout cela fait partie de notre histoire, même si ce n'est guère enseigné dans nos écoles ; il y a eu un énorme déficit d'information. Et le gâchis est immense ! Emmanuel Macron a lui-même affirmé, lors d'une visite en Algérie, quitte ensuite à faire marche arrière, que "la colonisation a été un crime contre l'humanité." En tout cas, les blessures demeurent très vives, et il en reste des traces indélébiles dans les coeurs.
Et aujourd'hui, en est-il fini du colonialisme ? Aimé Césaire a déclaré en 1989 : "L'esprit du colonialisme perdure à travers le racisme", toujours très sensible en France. Et il y a un monde entre l'universalisme proclamé haut et fort par la France et ce qui est vécu et ressenti par les "gens de couleur" dans la métropole, aux Antilles ou ailleurs ! Ce que certains appellent "les suites de la domination" ! Quand serons-nous enfin "tous frères" ? Ceci reste un combat plus actuel que jamais !