Le processus synodal mis en œuvre à l’appel du pape François a
mobilisé plus de 150 000 personnes en France. D’octobre 2021 à avril
2022, des équipes synodales se sont réunies à des échelles variées :
diocèses, paroisses, mouvements, groupes spontanément constitués,
congrégations religieuses… En fonction de leur contexte, ces équipes ont
souvent choisi de traiter quelques-unes des questions envoyées par le
secrétariat général du synode. Ensuite, un travail de synthèse et de
discernement a été effectué à l’échelle des diocèses. Le processus
synodal a suscité une participation généreuse dans beaucoup de lieux,
avec le sentiment de vivre une expérience prometteuse, une démarche
communautaire d’écoute et de discernement. Cette consultation a
également rencontré des résistances de diverses natures. D’abord, la
difficulté à entendre les voix des plus fragiles ; ensuite, la
difficulté à rejoindre et mobiliser les jeunes et les jeunes adultes ;
la crainte, chez certains catholiques, que ce processus serve à imposer
des changements dans l’Église à laquelle ils sont attachés ; enfin, la
difficulté pour beaucoup de prêtres à reconnaître l’intérêt de ce
synode.
♦ « Le dénominateur commun des contributions est sans
nul doute la joie de la rencontre : joie d’être sollicités, joie de
pouvoir répondre à l’appel du pape François, joie de pouvoir discuter
sur des sujets importants, profonds, autour d’un temps convivial, joie
des rencontres fraternelles et parfois priantes soit avec des personnes
inconnues soit avec des amis de longue date » Diocèse de Bordeaux.
La
présente collecte reprend l’ensemble des synthèses diocésaines de
l’Église catholique en France, ainsi que quelques contributions
supplémentaires parvenues à la Conférence des évêques de France. Les
contributions des congrégations et des mouvements ont également été
transmises aux dicastères compétents du Saint-Siège ; dans ce document,
elles ne sont donc pas identifiées spécifiquement. Cette collecte dresse
le constat, aussi honnête que possible, des questions abordées dans les
synthèses, ainsi que des tensions et des aspirations révélées par ce
cheminement. Elle ne porte pas de jugement théologique, mais veut servir
le discernement ultérieur à opérer dans l’Église, en laissant
apparaître avec transparence les enjeux qui ressortent de cette
consultation. Beaucoup de diocèses notent que la démarche synodale a
coïncidé avec la réception du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église,
à travers lequel de nombreux chrétiens ont entendu un appel à la
conversion. En parallèle, la pandémie due au Covid-19 a été la cause
d’éloignements prolongés ; pour cette raison, elle a rendu plus évidente
la nécessité de prendre soin les uns des autres. En effet, les
synthèses font entendre massivement l’aspiration profonde à une Église plus fraternelle.
Des besoins ont été repérés : l’importance de se ressourcer dans la
Parole de Dieu, l’urgence de proposer des signes parlants et crédibles
dans la société d’aujourd’hui, la nécessité de lieux de dialogue
fraternel. Ce sont eux qui structurent les trois grandes parties de
cette collecte, dont chaque section commence par l’écoute d’une « petite
voix », ce que permet spécifiquement le cheminement synodal.
♦
« La soif est là. Quelles propositions peut faire l’Église pour
répondre aux attentes ? La question d’une Église proche du frère, de
l’autre en difficulté revient de nombreuses fois, c’est un souci réel
car l’image donnée par l’Église actuellement est centrée sur l’annonce et la messe »Diocèse de Besançon.
1. SE RESSOURCER DANS LA PAROLE DE DIEU
♦
« À chaque fois qu’on se réunit autour de la Parole de Dieu et qu’on
cherche ensemble à comprendre, ça fait une communauté d’Église, même si
ce sont des gens qui ne viennent jamais à la messe. On avance par ce que
chacun apporte. (…) Peut-être qu’une base de l’Église c’est les gens
qui se réunissent pour lire la Parole de Dieu » Fraternité de La Pierre d’Angle, Poissy.
Ces
personnes en grande précarité identifient dans la lecture commune des
Écritures un fondement de la vie ecclésiale. En méditant les textes,
chaque participant expose sa vie et sa parole à la Parole de Dieu et
peut entendre les appels que Dieu adresse à chacun et à l’Église. Ainsi,
tous peuvent trouver leur place : personnes très précaires ou non,
chrétiens pratiquants ou non…
*
La phase
diocésaine du synode a permis à beaucoup de chrétiens d’exprimer une
conviction : la Parole de Dieu est une source à laquelle il est
profondément bon de puiser ; par elle, la vie ecclésiale se renouvelle
continument. Beaucoup d’équipes synodales ont d’ailleurs placé la
méditation biblique au cœur de leurs rencontres. À la suite du concile
Vatican II qui avait exhorté les baptisés à s’attacher aux Écritures qui
contiennent la Parole de Dieu (Dei Verbum, chapitres
24-25), les synthèses insistent sur la centralité de ce ressourcement
dans la Parole, et invitent à en faire davantage l’expérience.
♦
« La soif de recevoir la Parole de Dieu se manifeste très fortement
dans l’ensemble des contributions, pour nourrir la vie quotidienne ou
pour être partagée en groupes de fidèles ainsi que pour mieux fonder
l’action de l’Église. C’est une des premières demandes qui ressort de cette démarche sur la synodalité »Diocèse de Nanterre.
Parmi
les pratiques spirituelles évoquées, la méditation des Écritures en
petites fraternités apparaît centrale. Elle est vue comme un
ressourcement personnel, une manière pour l’Église de répondre avec
pertinence à la quête de sens de nos contemporains, dans une pratique
qui conjugue profondeur et liberté. Elle est également identifiée comme
une source de vie communautaire, puisque les appels de Dieu à nos
communautés se laissent découvrir dans l’écoute commune de sa Parole. De
plus, l’aspect missionnaire est notable : de nombreuses fraternités
constituées autour de la méditation de la Bible parviennent à intégrer
des personnes qui ne se sentent pas à l’aise dans les assemblées
paroissiales.
Par ailleurs, les attentes sont fortes quant aux
homélies : nombreuses sont les déceptions exprimées lorsque la
prédication ne s’appuie pas suffisamment sur la Parole de Dieu et ne
nourrit pas la vie quotidienne des baptisés. Un élargissement de la
prédication lors de l’eucharistie aux laïcs, et spécifiquement aux voix
féminines, est une demande récurrente. Une meilleure formation biblique
des baptisés est souhaitée, ainsi qu’une réelle formation des pasteurs à
l’homilétique ; cela concernerait aussi toute personne laïque appelée à
la prédication. Enfin, beaucoup de synthèses invitent à proposer et
promouvoir des célébrations de la Parole.
♦ « Les
“célébrations de la Parole” pourraient être plus souvent proposées en
paroisse. En effet, elles permettent de rassembler largement toutes les
personnes, indépendamment de l’accès au sacrement eucharistique : elles
sont réellement un lieu d’unité. Elles offrent tout à fait la
possibilité aux laïcs – hommes et femmes – de pouvoir commenter
l’Écriture et la forme de la prière peut y être plus libre et plus spontanée »Diocèse de Marseille.
2. DONNER DES SIGNES CRÉDIBLES DE LA BONTÉ DE DIEU ET DE L’ÉGALE DIGNITÉ DES BAPTISÉS
♦ « Les marges, c’est nous. Les piliers de l’Église, c’est nous ! »Des personnes handicapées du diocèse de Rodez.
Ceux
qui sont à la marge peuvent-ils être les piliers de l’Église,
c’est-à-dire ceux sur qui s’appuie l’édifice, ceux grâce à qui tous
peuvent se réunir, ceux qui nous apprennent à regarder vers le haut tout
en nous ancrant dans la terre ? Ce rêve se décline de bien des manières
dans les synthèses. Celles-ci montrent combien l’Église a besoin de
donner des signes crédibles, qui traduisent vraiment la Parole de Dieu
et soient parlants pour nos contemporains. Ces signes n’ont pas leur fin
en eux-mêmes : ils sont au service d’une Église plus fraternelle,
honorant l’égale dignité de tous les baptisés.
2.1. Poursuivre l’expérience de la synodalité
♦ « Marcher au rythme des plus fragiles et des plus abîmés est le meilleur moyen de marcher au rythme de tous, mais surtout celui du Christ » Diaconie du diocèse de Fréjus-Toulon.
Les
communautés paroissiales admettent largement l’absence des plus
fragiles en leur sein mais peinent à dépasser les seules incantations
quant à la place des pauvres et des plus éprouvés. Or, ces derniers –
lorsque leurs contributions ont été recherchées et retenues – rappellent
souvent qu’ils sont bien là et esquissent une promesse : si les
chrétiens veillent à marcher « au rythme des plus fragiles », ils
discerneront avec plus de clarté la présence du Christ et ses appels.
Cet apprentissage d’une manière de marcher et d’écouter est au centre de
l’expérience synodale.
L’expérience synodale à l’échelle
diocésaine est massivement identifiée comme un moment de joie et de
communion. C’est une expérience heureuse que de parler librement, en
vérité, sans recouvrir les désaccords sous des compromis hâtifs.
L’espérance grandit lorsque les chrétiens découvrent l’intérêt de prêter
attention à des voix qu’on n’écoute pas d’ordinaire.
♦ « Les
laïcs souhaiteraient plus d’écoute et des relations moins hiérarchiques
entre laïcs, et entre laïcs et prêtres. Ainsi, ils acquièrent la liberté
d’oser proposer des initiatives à l’ensemble de la paroisse et attendent qu’elles soient accueillies »Diocèse de Belfort-Montbéliard.
La
synodalité est un apprentissage, car l’écoute, le dialogue et le
discernement s’approfondissent chemin faisant. Il existe déjà des lieux
et des cadres de dialogue fraternel dans l’Église, au plan des
paroisses, des doyennés ou des diocèses. Lorsque la parole y est reçue
avec bienveillance, ce sont les lieux d’un cheminement synodal effectif,
reconnu comme tel dans les synthèses. Cet apprentissage de la
synodalité invite à des conversions : se laisser instruire par la
manière dont la Parole de Dieu est reçue par les baptisés, apprendre à
ouvrir des chemins plutôt qu’à donner des réponses.
♦ « Accepter de se convertir, “d’être bousculé”, est également tout à fait indispensable » Diocèse d’Évreux.
Cette
expérience synodale se différencie nettement d’un sondage d’opinion :
ceux qui y ont participé disent avec quelle attention ils ont cherché à
se mettre sous la conduite de l’Esprit Saint ; dans ce but, ils ont
souvent ancré leurs échanges dans la méditation des Écritures. Il a
fallu pour cela traverser un scepticisme largement partagé quant à la
capacité de l’Église à se réformer réellement, à vivre la synodalité en
actes et non seulement en paroles. Une fois l’expérience faite, les
synthèses expriment très largement le désir que l’expérience se
poursuive, notamment en ce qui concerne l’effort d’écoute mutuelle. Une
attente s’exprime, qu’il faut bien prendre garde de ne pas décevoir.
♦ « Cette méfiance s’enracine dans des expériences passées, sans lendemain malgré les promesses »Diocèse de Rouen.
2.2. Des ministères au service de la rencontre de Dieu et des personnes
♦ « L’Église doit avoir toujours une porte ouverte. Jésus nous y tend les bras avec l’accompagnement des prêtres »Groupe Amitié Espérance Arc-en-ciel, diocèse de Pontoise.
Ce
groupe de chrétiens en souffrance psychique rapproche l’accompagnement
des prêtres et l’ouverture d’une porte, signe de l’accueil du Christ. De
fait, les ministères sont des signes de la manière dont la Parole de
Dieu rejoint l’humanité et agit dans l’Église. C’est pourquoi les
personnes les plus fragiles évoquent le rôle irremplaçable des
ministres, mais aussi les difficultés dans les relations avec eux. Pour
ouvrir la porte de la foi et accomplir sa mission dans le monde que nous
connaissons, de quels ministères l’Église a-t-elle besoin, et comment
améliorer leur mise en œuvre ?
*
Les
diocèses manifestent une réelle reconnaissance à l’égard des prêtres et
de leur engagement, dont on lit combien il est un signe précieux. On
devine la difficulté de la mission qui incombe aux prêtres tant les
attentes exprimées sont plurielles et contradictoires.
De manière
spécifique, la charge des curés interroge : on regrette qu’il leur soit
difficile de demeurer disponibles dans des paroisses qui s’étendent. Les
baptisés semblent les rappeler à leur vocation : ils sont là pour
accompagner les personnes plus que pour diriger une paroisse à la
manière d’une entreprise. Des problèmes relationnels sont largement
évoqués : autoritarisme, difficultés dans les relations avec les femmes,
attitude surplombante plus que fraternelle, au point que beaucoup de
synthèses évoquent ouvertement de graves inquiétudes pour l’équilibre et
la santé des prêtres, ou les difficultés pour que des prêtres venus
d’autres cultures réussissent à trouver leur place dans l’Église telle
qu’elle existe en France.
La formation des prêtres est souvent
évoquée, dans deux directions. D’une part, on trouve à plusieurs
reprises la suggestion d’une formation commune aux ministres ordonnés,
aux ministres institués et à tous les baptisés. D’autre part, c’est dans
la formation humaine des futurs prêtres (les qualités relationnelles,
l’équilibre personnel, la capacité à gouverner et à communiquer) que les
synthèses marquent la nécessité d’une évolution.
Il est
régulièrement souhaité que le célibat des prêtres soit laissé au libre
choix de ceux-ci, de sorte que l’ordination presbytérale et le mariage
soient compatibles.
♦ « Derrière l’exigence clairement
exprimée d’un rééquilibrage des responsabilités entre clercs et laïcs,
c’est la soif d’un véritable compagnonnage spirituel entre
baptisés de différents états de vie qui se manifeste : frustration de ne
pas partager assez avec les consacrés, d’avoir des prêtres trop accaparés par les tâches de gestion pour partager des moments gratuits »Diocèse de Paris.
On trouve étonnamment peu de références au ministère diaconal, dont la spécificité n’est pas évoquée dans les synthèses.
Par ailleurs, beaucoup de catholiques n’ont pas spontanément parlé des
évêques lorsqu’ils ont évoqué l’Église. Lorsque ces mentions arrivent,
elles laissent deviner soit une communion de pensée, soit des tensions
non résolues – voire seulement sous-entendues – dans certaines Églises
diocésaines.
Les ministères institués (ministères de lecteur, acolyte, catéchiste)
sont mentionnés avec des invitations pressantes pour que les diocèses
s’en saisissent, afin que ces ministères puissent donner, eux aussi, des
signes crédibles de la Parole et de la présence de Dieu. Il existe ici
une attente urgente à l’égard des évêques : que ces ministères,
désormais ouverts aux hommes et aux femmes, fassent l’objet d’une
explicitation et d’une véritable mise en œuvre.
2.3. Hommes et femmes : vivre l’égale dignité baptismale
♦ « L’Église ça veut dire transformer ton cœur en plus grand »Shirelle, aumônerie catholique des voyageurs, province du Nord.
Comme
d’autres, les gens du voyage qui se sont exprimés font ressortir
l’image de l’Église comme un lieu qui élargit le cœur de ses membres et
qui est infiniment précieux pour cette raison, et simultanément comme un
lieu où tant de regrettables étroitesses se manifestent. Pour ce qui
est de la place des femmes, cette conjonction apparaît nettement.
*
Sur
la question de la place faite aux femmes dans l’Église, les synthèses
perçoivent une urgence ainsi que d’innombrables blessures. Les blessures
viennent des difficultés dans les relations avec les prêtres et les
évêques, de la criante disproportion entre le nombre de femmes engagées
dans l’Église et de femmes qui sont en situation de décider. Si le
service des femmes est apprécié, leur voix paraît ignorée. Qu’elles
contribuent effectivement aux multiples discernements des Églises
locales est l’objet d’une attente criante. C’est ici qu’une urgence est
identifiée dans bien des synthèses. La manière dont les femmes sont
traitées dans l’Église n’est pas ajustée à la mission de celle-ci, à une
époque où l’égalité entre les hommes et les femmes est devenue une
évidence commune. Les douleurs sont d’autant plus grandes qu’elles
procèdent de cette conviction : l’Église se prive ainsi d’innombrables
charismes et de possibilités réelles de sortir de l’entre-soi clérical.
♦
« “Sur la place des femmes tout le monde bouge sauf l’Église”. [...]
Nous sommes révoltées par l’inégalité entre les femmes et les hommes, et
ce dès le plus jeune âge, au sein de l’Église. Nous souhaitons un autre modèle pour nos enfants »Mission de France (contribution d’un groupe de femmes trentenaires).
On
lit aussi de nombreuses demandes pour que les femmes puissent recevoir
l’ordination diaconale. Le ministère des diacres n’étant guère identifié
dans sa spécificité, cela renvoie à l’attente d’« un premier pas
symbolique important » (Promesses d’Église) – et à la requête, déjà
évoquée, que la prédication puisse être prononcée par des femmes pendant
la messe. Un peu moins souvent, même si elle est largement récurrente,
on trouve la demande que les femmes puissent être ordonnées prêtres.
♦ «
La place des femmes dans la hiérarchie catholique est à repenser
complètement, d’urgence et en profondeur, y compris théologiquement, de
nombreuses contributions insistent sur ce point »Diocèse de Périgueux.
2.4. La gouvernance : reconnaître et valoriser les charismes
♦ « Qu’est-ce qui peut aider dans l’Église ? Quand je suis accepté et que je peux donner : j’aime apporter quelque chose, tout simple mais j’aime donner »Communauté du Sappel, diocèse de Chambéry.
Ces
personnes du Quart Monde expriment leur aspiration à donner et pas
seulement à recevoir. Dans cette ligne, ce qui concerne la gouvernance
dans l’Église ne renvoie pas d’abord à une bonne administration, mais
plutôt à la valorisation des charismes, à l’accueil de ce que chacun
peut offrir à la communauté.
*
À tous les
niveaux, les communautés ecclésiales ont intérêt à se constituer à
partir des charismes de chacun ; cela permet à chaque baptisé d’exercer
la responsabilité qui lui revient et de prendre sa part de la mission
dans la société et dans l’Église. Les synthèses expriment de nombreuses
tensions à ce sujet, par exemple l’expérience récurrente d’abus de
pouvoir, l’aspect « pyramidal » de la gouvernance, la peur du conflit
qui invite à cacher les problèmes plutôt qu’à les traiter, l’arrivée
d’un nouveau curé qui impose une direction contraire à celle qui
prévalait jusqu’alors dans une paroisse...
À ces tensions
répondent des aspirations : que les envois en mission soient clairs et
explicites, que les mandats soient limités dans le temps, que la
relecture des missions et de la vie communautaire soit pratiquée
régulièrement et sérieusement. On n’attend pas que tous les baptisés
fassent tout, mais plutôt une certaine transparence quant aux processus
de décision et aux questions financières.
♦ « La
coresponsabilité découle du fait que la mission est confiée à tous les
baptisés (clercs et laïcs, hommes et femmes). Il faut repartir non pas
exclusivement de la charge confiée mais du ministère baptismal de
chacune et chacun. Le cléricalisme est un fléau où clercs et laïcs ont une responsabilité conjointe. [...] La coresponsabilité est au service de la mission d’évangélisation »Diocèse de Coutances et Avranches.
Bien
sûr, certains aspects sont paradoxaux : les chrétiens demandent à
participer davantage à la réflexion et aux responsabilités, mais
beaucoup de synthèses reconnaissent la difficulté à s’engager dans la
durée.
♦ « Avoir le souci de la représentativité : diversité
des origines socio-culturelles et des générations pour que le
discernement soit le plus juste et le plus objectif possible »Diocèse d’Évry-Corbeil-Essonnes.
À
l’échelle des diocèses, on trouve trois types de demandes. D’abord, que
d’authentiques contre-pouvoirs existent – par exemple avec des conseils
composés de baptisés élus –, car la dimension synodale de la
gouvernance ne dépend aujourd’hui que de la bonne volonté des évêques.
Ensuite, l’existence d’une réelle subsidiarité, qui ne consiste pas à
déléguer seulement les tâches, mais aussi à déléguer la prise de
décisions au niveau concerné ! Enfin, que les laïcs appelés à des
responsabilités se voient proposer une formation appropriée, qui puisse
aussi bénéficier à l’ensemble des baptisés. L’enjeu est ici la réception
du concile Vatican II et de son enseignement sur l’Église.
2.5. La liturgie : articuler profondeur et fraternité
♦
« Dès que je passe les portes de la chapelle, je retrouve mes frères et
ma sœur, je ne suis plus qu’un avec les autres, communion puissante.
Tout ce qui est difficile dans la semaine va s’effacer comme par magie »Aumônerie de la maison d’arrêt de Caen.
La
ferveur du détenu qui parle ici nous renvoie à la liturgie comme signe
concret de ce qu’est l’Église. Célébrer Dieu s’avère une expérience de
profondeur, capable de transfigurer un quotidien difficile et d’aider à
l’habiter ; c’est aussi un temps de fraternité, de communion avec les
autres. Cette double aspiration s’exprime largement dans les synthèses.
*
Beaucoup
de synthèses disent combien la liturgie eucharistique est centrale dans
la vie de foi des catholiques. Certains – comme ceux qui sont attachés
au missel romain de 1962 (forme ancienne du rite) – aspirent à ce que la
célébration de la messe réponde davantage à la soif d’intériorité des
baptisés. Les synthèses relèvent également que l’eucharistie est
essentielle à la constitution même des communautés. Pourtant, la
liturgie apparaît largement comme un lieu de tensions, entre souplesse
pastorale et attachement aux rituels, entre estime pour la richesse des
symboles liturgiques et interrogations devant un langage devenu
inintelligible pour beaucoup. Bien des synthèses notent aussi que la
liturgie peut constituer un moment privilégié d’intégration
communautaire. Cela se vérifie à l’égard des plus fragiles, avec la
question de la prise en compte des handicaps (comme la surdité) ou
l’espérance souvent déçue d’être accueilli comme un frère ou une sœur.
Cela se vérifie également pour les plus jeunes : ils aspirent
fréquemment à s’impliquer dans la préparation et la célébration de la
liturgie, mais se sentent peu sollicités par des communautés où dominent
d’autres générations.
♦ « Pourquoi les églises sont tristes ?
La messe est trop longue, trop de paroles. On passe son temps à écouter
et on ne comprend pas. La prière au KT c’est plus simple, là on chante,
on bouge, on prépare, c’est mieux. Jésus a réussi à célébrer, il priait beaucoup »Enfants du catéchisme, diocèse d’Autun.
Ces
mots rejoignent trois aspirations. La première, déjà nommée, concerne
la diversification des liturgies au profit de célébrations de la Parole,
de temps de prière qui accordent une place centrale à la méditation des
Écritures. La seconde, moins fréquente, rappelle l’importance des
pèlerinages et de la piété populaire. La troisième envisage une
formation liturgique renouvelée, pour faire face à ce que beaucoup de
synthèses pointent comme l’irrecevabilité du langage courant dans
l’Église.
Enfin, les mentions d’un profond désaccord avec le refus
que des filles servent à l’autel ou que des femmes entrent dans le
chœur pour un service liturgique sont si nombreuses, qu’on ne peut
douter d’une réelle souffrance vécue et d’une attente pressante à ce
sujet.
3. VIVRE EN FRÈRES ET SŒURS DANS LE CHRIST
♦
« L’Église doit être ouverte, sortir vers les gens, prendre le temps de
la rencontre, de l’écoute. Elle doit donner la parole à tous, être une
Église qui encourage, ainsi la lumière, la paix, inonderont les cœurs. Une Église qui porte un regard qui ne juge pas » Groupe Place et parole des pauvres, diocèse d’Arras.
L’espérance
exprimée par les membres de ce groupe « Place et parole des pauvres »
est largement partagée ; sans doute leur situation rend-elle d’autant
plus brûlante cette soif d’écoute dans l’Église. Elle est liée au désir
de trouver dans les communautés catholiques soutien et absence de
jugement. Dans une société saturée d’images et d’activités, mais où les
souffrances et inquiétudes sont innombrables, la capacité à accueillir
et à encourager apparaît comme le meilleur témoignage rendu au Christ.
3.1. Servir la fraternité
♦
« Ne pas avoir peur d’aller chercher les personnes qui ont peur de
rentrer, ne pas cesser de rechercher les personnes les plus pauvres et
changer le regard pour que l’Église soit plus accueillante envers les plus pauvres »Fraternité de La Pierre d’Angle.
La
peur d’accueillir, d’annoncer, de rencontrer, peut paralyser les
communautés chrétiennes. Mais les personnes du Quart Monde qui composent
cette fraternité signalent combien d’autres ont peur de s’approcher de
l’Église, se sentent illégitimes, indésirables. Cette double réalité,
largement exprimée, provoque l’Église à cultiver la fraternité.
*
Les
synthèses expriment fréquemment un manque de proximité et une soif de
fraternité. Pour bien des diocèses, la proximité fait défaut dans
l’actuel modèle paroissial, qui couvre des territoires de plus en plus
vastes. La volonté missionnaire d’annoncer et d’accueillir dépend, selon
beaucoup de synthèses, de la possibilité de relations proches, avec des
acteurs pastoraux identifiés. Plusieurs diocèses ruraux lancent un
véritable cri d’alarme, tant l’histoire récente de l’Église y est vécue
comme un éloignement progressif qui engendre de la souffrance.
Dès
lors, la soif de fraternité génère de multiples propositions à des
niveaux autres que les paroisses. Dans ce cadre sont mentionnés les
mouvements, qui offrent diverses occasions de rencontre et de partage,
et nourrissent la foi et l’engagement des catholiques.
Surtout,
beaucoup de synthèses appuient l’idée que la constitution de petites
équipes fraternelles est une échelle pertinente pour vivre dans l’Église
aujourd’hui. Elles citent en exemples des fraternités de proximité,
soit à l’échelle d’un village ou d’un quartier, soit pour méditer la
Parole de Dieu, soit autour des plus fragiles, soit en compagnie de ceux
qui ne trouvent guère leur place dans les paroisses. Ce sont des
espaces de créativité et de compagnonnage dans la durée.
♦ «
Les joies en Église sont essentiellement liées à un vécu de groupe (de
services, de prière...), en petite communauté ou en fraternité. [...] La
joie est aussi celle d’une écoute inconditionnelle reçue ou
partagée. Ces petites fraternités sont des lieux amicaux où se vit la
convivialité qui a fait défaut durant la période de la pandémie »Diocèse de Quimper et Léon.
A contrario,
résonne souvent la souffrance de ceux qui se sentent exclus des
communautés et/ou des sacrements (personnes homosexuelles, divorcées et
remariées, etc.), ainsi que de ceux qui sont témoins de telles
exclusions. Selon un nombre élevé de synthèses, celles-ci constituent de
sérieux contre-témoignage.
♦ « Beaucoup de gens ont souligné
que l’accueil de l’Église doit être inconditionnel, sans jugement, sans
préjugés, respectueux, humble et bienveillant. [...] Toute exclusion de
sacrements liée à l’état de vie suscite incompréhension et tristesse et
paraît opposée à l’accueil de tous qu’a pratiqué le Christ »Diocèse de Toulouse.
Quant
aux jeunes générations, elles n’ont rien d’homogène, si bien que de
grandes différences de sensibilités apparaissent clairement. Certains
adolescents ou jeunes adultes expriment à l’égard de l’Église
enthousiasme et confiance. Beaucoup d’autres disent leur attente d’une
Église plus accessible et fraternelle, à tous niveaux : avec un langage
plus compréhensible, des communautés plus ouvertes et accueillantes,
capables de proposer un vrai ressourcement spirituel.
3.2. Cultiver l’écoute et le dialogue
♦
« Nos différences ne portent pas que sur des points de détail. [...]
Que chacun reconnaisse avec humilité que ce qui est important pour l’un
l’est peut-être moins pour l’autre, mais que tous sont frères et sœurs
en Christ. Il ne s’agit pas de vivre les uns à côté des autres, en
créant des clans par affinités qui ne se parleraient pas. Il s’agit de
chercher ensemble comment avancer vers le Christ, et d’écouter ce que
chacun a à dire pour nous laisser transformer personnellement par le
dialogue. Des lieux et des moments d’accueil, d’écoute, de partage, peuvent permettre cette communion »Communauté de Taizé.
La
difficulté du dialogue avec ceux qui ne se reconnaissent pas dans
l’Église catholique est reconnue, mais le dialogue n’est pas moins
difficile entre catholiques. Beaucoup de synthèses mentionnent ces deux
niveaux. L’Église est invitée à développer en son sein une véritable
culture de l’écoute et du dialogue, pour que les catholiques soient
d’autant plus à même d’entrer en dialogue avec d’autres.
*
Chemin
faisant, au cours du processus synodal, l’écoute, le dialogue et le
pardon sont apparus essentiels pour que les relations fraternelles
s’approfondissent.
♦ « Importance du travail en groupe, de vivre une réelle solidarité pour être vraiment frères. Importance des cafés partagés, des apéros partagés..., de temps festifs en communauté »Diocèse de Chartres.
Beaucoup
de synthèses signalent également l’intérêt de « tiers-lieux » : des
lieux pensés pour permettre un dialogue avec les non-chrétiens, des
lieux où il est possible de rencontrer des personnes qui n’entrent pas
d’ordinaire dans les églises. C’est d’autant plus important que le
langage de l’Église et de ses pasteurs apparaît largement difficile à
comprendre, tant il semble déconnecté de l’expérience quotidienne. Tout
ce qui permet à des catholiques de rencontrer des habitants de leur
quartier ou de leur village est nettement mis en avant dans les
synthèses. Ces mêmes « tiers-lieux » correspondent également aux
endroits où s’incarnent les innombrables engagements des catholiques
dans la solidarité avec les familles en précarité, avec les personnes
malades, dans l’accompagnement des migrants...
♦ « L’enseignement catholique apparaît comme une opportunité pour une présence d’Église et une annonce explicite de l’Évangile »Diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier.
Au-delà
de cette question des lieux, les synthèses diocésaines ne remettent pas
en question la laïcité des institutions publiques, mais elles notent
que la culture laïque de notre pays rend difficile le témoignage
explicite des chrétiens, ou même la possibilité d’aborder avec d’autres
les enjeux spirituels essentiels à toute vie.
Dans ce contexte, la
mission de l’Église est presque toujours conçue sur le mode du dialogue
et du partage d’expériences, pour deux raisons. D’abord, il importe
d’accueillir ce que la société dans laquelle nous vivons nous apprend de
bon ; on trouve ainsi quelques références à la préoccupation écologique
partagée par les catholiques. Ensuite, un nombre considérable de
synthèses sont habitées par la conscience qu’une profonde humilité
conditionne le témoignage que l’Église peut donner et le service qu’elle
est en mesure d’offrir. Toute tentative de donner des leçons est
désormais irrecevable pour ceux à qui, précisément, on voudrait
s’adresser. Les nombreuses demandes de formation à l’écoute et au
dialogue attestent une recherche de cet ordre.
Enfin, l’œcuménisme
est peu évoqué, sinon sur le mode d’une aspiration insatisfaite.
Pourtant, là où il est vécu, il provoque joie et enrichissement mutuel,
et constitue un signe heureux pour la société fragmentée dans laquelle
nous vivons.
CONCLUSION
♦
« Nous rêvons d’une Église [...] où l’Esprit Saint puisse agir et
susciter de la nouveauté, prête à accompagner les mutations de nos
sociétés, débarrassée d’un certain nombre de lourdeurs dans son
fonctionnement, avançant résolument vers l’unité, où la parole soit
libre, toujours attentive aux petits et aux laissés-pour-compte, priante et confiante en son Créateur et en son Sauveur »Diocèse de Chambéry, Maurienne et Tarentaise.
On
repère dans les synthèses deux promesses particulièrement stimulantes,
étroitement liées l’une à l’autre : elles ont pour objet la Parole de
Dieu (partie I) et la fraternité (partie III). La Parole de Dieu est
reconnue comme une source de sens, de cheminement spirituel et de
communion, que l’Église a pour mission de rendre plus accessible.
L’accueil commun de cette Parole engendre une fraternité qui se déploie
de différentes manières ; les synthèses insistent pour que le niveau de
proximité le plus grand soit aussi le plus cultivé. Cette fraternité
passe par l’écoute et le dialogue, en cherchant à répondre fidèlement
aux appels de l’Esprit Saint : c’est là le cœur de l’expérience
synodale.
Pour annoncer la Parole de Dieu par et dans la
fraternité, l’Église a besoin de signes crédibles de la proximité de
Dieu (partie II). Ceux-ci n’ont pas leur fin en eux-mêmes, mais
participent à faire de l’ensemble du corps ecclésial un « sacrement » de
l’appel que Dieu adresse à notre humanité. Les pistes pour que ce «
rêve » devienne réalité sont déjà nombreuses : elles nourrissent notre
espérance, et nous invitent maintenant à de nouvelles conversions.