J'ai coutume de dire que, là où j'habite - oh, le chanceux, à 100 m de la mer - c'est "mon petit ermitage" ; là où je vis tranquillement désormais, en savourant profondément chacune de mes journées, dans l'action de grâce, la prière pour le monde et pour la paix. Je ne peux plus faire grand chose désormais, un rien me fatigue ; mais rien ne me manque pourtant, et je suis comblé. J'ai encore un énorme caillot dans le coeur, difficile à éliminer, le coeur très abîmé puisque inopérable l'an passé, mon insuffisance cardiaque ne cesse de s'amplifier, j'ai perdu 15 kgs depuis un an, grosses insomnies, j'ai dû abandonner toutes mes responsabilités et toute activité pastorale, mais je suis toujours vivant. De quoi vais-je donc me lamenter ? Je serai peut-être mort demain, avec toutes ces épées de Damoclès... Donc, profitons de la vie encore aujourd'hui ! Il ne me reste plus que la prière ; mais si celle-ci peut aider d'autres frères et soeurs à relever la tête, merci Seigneur !
Et j'ai le privilège de pouvoir prier dans ce qui représente pour moi une immense chapelle, le port de Bourgenay. Pas besoin de préparer une prière universelle, il suffit d'écouter les gens. Je viens encore d'en faire l'expérience samedi. Assis sur un banc face à la mer, tandis que j'allais me lancer dans mes méditations personnelles, impossible de me boucher les oreilles vis-à-vis du flot de réflexions partagées par les personnes défilant sans cesse juste derrière mon banc.
Et chaque couple, ou groupe, d'y aller de ses soucis et de ses misères. Au vol, en ce jour, j'ai retenu ces quelques réflexions parmi tant d'autres ; parfois seulement quelques mots, lorsque les gens passaient à ma hauteur : "Jacques est gravement malade ; quand est-ce qu'on pourra aller le voir ?" "Il faut que je mette de l'ordre dans mon garage, et que j'enlève la poussière, ça m'énerve de voir les choses en un tel état." "Pour la déclaration d'impôts, est-ce qu'il faudra inclure... ?" "Pour les vacances, il faudrait qu'on s'organise avec... ?" "La grand-mère s'est suicidée, (oui, j'ai vraiment entendu ça) alors, ils se sont partagé...?" Etc.
De quoi donc nourrir ma prière, tout simplement ! Et si j'étais là pour ça ? Et si c'était cela, ma mission ? A moi qui n'ai pas encore tout à fait digéré le fait de ne plus avoir presque aucun rôle pastoral (visible) désormais ? Aucune de ces personnes n'a su qu'un prêtre - c'aurait pu être un laïc - priait pour eux, quand ils pérégrinaient derrière moi en se confiant leurs soucis mutuellement. Quant à moi, j'ose imaginer que Dieu a peut-être entendu ma pauvre et petite prière, lui qui était déjà présent, invisiblement, au coeur de la vie de ces gens.
Merci Seigneur pour la longue procession de tous ces hommes et ces femmes qui cheminent au coeur de ce monde, en recherche de bonheur, de fraternité et de paix !
Je t'ai reconnu, Seigneur ! Ils n'étaient pas seuls ! Tu marchais avec eux, au milieu d'eux, comme un bon pasteur les guidant invisiblement vers le Salut !