Voici l'homélie présentée, en l'église de Longeville, en ce 4° dimanche de Carême de l'année B.
Il semble que les lectures de ce
jour viennent à point pour éclairer notre actualité. La 1° lecture nous parlait
par exemple de la Perse (l’Iran actuel), mais surtout, de Babylone, ville qui
se trouve à 100 kms au sud de Bagdad, au cœur de l’Irak, dans ce pays que le
pape François vient de visiter. Tandis
que l’évangile nous montre le serpent de bronze élevé, dans le désert où
progresse péniblement le peuple hébreu, un désert sans doute bien semblable à
ce qu’est le désert irakien, pas si éloigné que cela géographiquement, vu de
chez nous.
Ce périple du pape nous a
rappelé que nos racines religieuses, juives et chrétiennes, doivent beaucoup à
cette région du Proche Orient, et particulièrement à la Mésopotamie, berceau de
l’Irak actuel. A l’occasion de la visite pastorale du pape, la télé et les
journaux nous ont montré suffisamment de cartes de l’Irak pour que nous
sachions que ce pays est traversé, du nord au sud, par deux fleuves : le
Tigre et l’Euphrate. D’où le nom de « Mésopotamie », qui signifie, en grec : « entre
deux fleuves » (méso = au milieu,
et potamos = fleuve).
Si nous partons du sud de l’Irak,
de la grande ville de Bassora, il est intéressant de découvrir que, 100 kms
plus haut se trouve la ville d’Ur, en Chaldée, la patrie d’Abraham. C’est de là
qu’Abraham partit, à l’appel de Dieu, pour rejoindre, vers l’ouest, la
Palestine, à travers le désert de Syrie.
C’est à Ur que samedi dernier, le pape François a tenu une importante
rencontre avec les chefs des différentes religions présentes en Irak.
En remontant vers le nord, le
long de l’Euphrate, 100 kms avant d’arriver à Bagdad se trouve le site de
Babylone, cette ville dont il était question dans la 1° lecture. Et si, comme l’a fait le pape François, nous
montons au-delà de Bagdad, nous trouvons la cité d’Assour, capitale jadis de
l’Assyrie. C’est là que régna
Hammourabi, 18 siècles avant le Christ.
Ce grand roi publia ce que l’on appelle le Code d’Hammourabi, très
proche de ce qu’expriment les 10 Commandements de la Bible, puisqu’il instaurait
la foi en un Dieu unique, Marduk, donnait des droits aux femmes, aux épouses,
adoucissait la loi du talion, etc.
Allons encore plus haut, tout
droit vers le nord, là où le pape est allé également la semaine dernière, dans
le Kurdistan actuel, et voici Ninive, 50 kms au-dessus de Mossoul ;
Ninive, où Dieu envoya en mission le prophète Jonas, avec les péripéties que
l’on sait !
Pourquoi je vous fais faire ce
périple géographique ? Eh bien,
pour nous aider à mieux saisir le lien entre le voyage du pape et notre
histoire biblique. C’est sur cette terre en effet que fut appelé Abraham ;
c’est à Babylone que furent déportés les Hébreux ; c’est en ces lieux que,
pour la 1° fois dans l’histoire du monde, est apparue la perspective d’un Dieu
unique, Marduk, même si l’on continuait à honorer d’autres divinités moins
importantes.
C’est là enfin que Dieu, en la
personne de Jonas, envoya un prophète en mission, pour la 1° fois, au-delà des
frontières d’Israël : un symbole important, signifiant que la Bonne Nouvelle
du Salut ne devait pas être réservée aux Juifs seulement. Voilà pourquoi une visite du pape sur cette
terre ne pouvait constituer un voyage comme les autres. François, l’un des plus grands prophètes de
notre temps, envoyé par Dieu en Irak, contre
l’avis de son entourage, plutôt timoré, bien au-delà des frontières étroites de
l’Eglise catholique, dans un pays plutôt dangereux, pour y rencontrer ceux qu’il considère comme ses
frères : les yézidis, zoroastriens, bahaïs et autres, et principalement les musulmans
chiites, avec lesquels le pape François a fait connaissance et lié amitié !
Malheureusement, c’est sur cette
partie de la terre du Dieu du 1° Testament que continuent de s’abattre, comme
jadis sur l’Egypte de Moïse, ce qui ressemble fort aux plaies d’Egypte, telles
que, la menace permanente d’attentats terroristes, la mort de civils innocents,
la corruption généralisée, les problèmes de la faim, la destruction des
édifices religieux, etc. Aujourd’hui
encore, les Irakiens vivent dans une peur extrême !
Moïse, quant à lui, face à
la terreur de son peuple perdu dans le désert, avait fait élever un serpent de
bronze ; vous connaissez bien cet épisode de la Bible, tiré du Livre des
Nombres, et qui était évoqué au début de l’évangile de St Jean à
l’instant. Après avoir passé la Mer
Rouge, tandis qu’ils traversaient le désert du Néguev, situé au nord de
l’Egypte et au sud de l’Israël actuel, les Hébreux étaient souvent victimes de
serpents venimeux, et mourraient en grand nombre. Dieu suggéra alors à Moïse de
fabriquer un serpent d’airain, et de le fixer en haut d’un long manche en bois.
Cela évoque d’ailleurs le
caducée, l’emblème des professions médicales, signalant les personnes
qualifiées professionnellement pour nous soigner.
Alors, nous dit le Livre des
Nombres, je cite : « Lorsqu’un serpent mordait un Hébreu, celui-ci
regardait le serpent d’airain, et il avait la vie sauve. » Comme si, exhibé ainsi, et regardé en face,
le mal perdait son pouvoir de malfaisance.
D’ailleurs, tout médecin vous confirmera que celui qui refuse de
regarder en face sa maladie aura bien de la peine à en guérir.
Malheureusement, il nous est
souvent bien difficile de voir clairement le mal qui nous ronge. Par exemple,
notre société ne sait toujours pas regarder en face le mal immense dont
souffrent depuis un an malades et personnes âgées condamnés à l’enfermement,
artisans ou artistes dépossédés de leurs professions, sans parler des jeunes brimés
dans leur progression, etc.
Même chose dans notre Eglise, où l'on n'a pas su regarder en face le mal insidieux qui la minait de
l’intérieur, à travers une pédo-criminalité souvent occultée. Idem avec la question de l’inceste dans les familles… Comme quoi ce problème ne tient pas qu'au célibat !
Il faudrait regarder en face également pourquoi les jeunes désertent les églises, pourquoi les enfants abandonnent toute pratique après des années de caté, pourquoi tant de jeunes adultes sont mal à l'aise avec ce que l'Eglise propose, pourquoi si peu de place donnée aux petites filles comme aux femmes, etc.
De même, chacun de nous
sait combien il lui est difficile de regarder en vérité ses propres limites et
ses errements personnels. C’est ce que l’on
appelait autrefois l’examen de conscience, lorsque, chaque soir, l’on se
donnait peut-être plus de temps qu’aujourd’hui, où nous sommes pollués par la
télé, pour regarder, en face, ce qu'avait été notre journée ! Mais, ainsi que cela nous était
rappelé dans l’évangile : « Les hommes ont préféré les ténèbres à la
lumière » !
Cet épisode nous renvoie au récit
biblique de l’antique serpent, au Paradis terrestre, symbolisant le diable,
Satan, cherchant à tromper la femme et l’homme, à les mordre, pour injecter en
eux son refus de Dieu, son venin de mensonge, de haine et de mort.
Pendant cette eucharistie, durant
ce temps de Carême, sans cesse et sans répit, levons les yeux, non plus vers le
serpent de la guerre, mais vers le
Christ en croix. Regardons-le en face, ne nous lassons pas de nous fier à
lui. Car "quiconque croit en lui ne se
perdra pas, mais il obtiendra la vie éternelle !" Amen !