Le Blog de l'Arche de Noé 85, n° 2632 : "Le corps du Christ est plus étendu qu'on ne le pense." (Péguy)

Voici l'homélie de ce 11° dimanche du temps ordinaire.

 

 L’évangile de ce jour est très beau, très stimulant ; et l’on a du bonheur à s’imaginer le règne de Dieu s’étendant ainsi largement, se développant harmonieusement, à l’infini, au cœur de notre société et sur toute la surface de la terre ; à l’image d’un arbre immense allongeant ses branchages jusqu’aux extrémités du monde.  Un vrai rêve !

 Le problème, c’est que, la réalité ne correspond pas vraiment à ce beau projet de Jésus.  Sans vouloir se flageller inutilement, l’on peut constater que l’arbre-Eglise, en France, semble bien malingre en effet.  Et que la communauté des chrétiens est bien loin d’avoir pignon sur rue, comme cela a pu être le cas du temps de nos jeunes années, pour les plus anciens d’entre nous, ou lors des siècles précédents dans notre pays.

 Attention cependant, car ce regard pessimiste sur notre Eglise, en réalité, ne correspond pas au message que veut nous faire comprendre cette parabole. De quoi Jésus nous parle-t-il ?  Que représente exactement l’image de ce bel arbre ? Relisons l’évangile, et nous découvrons que, pour être précis, dans sa comparaison, Jésus ne parle pas de l’Eglise, contrairement à ce que l’on pourrait penser, mais du règne de Dieu.

 Oui, le règne de Dieu ; mais, ce règne, qu’est-ce que c’est ?  C’est lorsque, sur notre planète, pousse, naît et grandit, dans le cœur des femmes et des hommes, chrétiens ou non, le projet, la petite graine d’un monde meilleur, d’un monde nouveau, correspondant aux valeurs de l’Evangile.

 C’est l’occasion d’expliquer la distinction entre l’Eglise, l’institution-Eglise d’une part, et d’autre part, le règne de Dieu, que Jésus appelait aussi le Royaume. Ce n’est pas la même chose ; ce sont deux réalités différentes, même si elles s’emboîtent un peu l’une dans l’autre.

 Prenons un exemple : au début du 20° siècle, au moment de la 1° guerre mondiale, les églises étaient pleines, aussi bien en Allemagne qu’en France.  L’Eglise avait pignon sur rue, bien plus qu’aujourd’hui. Mais cela n’a pas empêché deux nations profondément chrétiennes, et cela depuis des siècles, de se jeter à la gorge l’une de l’autre ; et de remettre cela encore, toujours aussi violemment, en 39-45.

 Sans vouloir juger ceux qui nous ont précédés, il faut constater qu’en ces périodes, où les églises étaient pleines et florissantes, tandis que le christianisme semblait triompher, le règne de Dieu, quant à lui, n’était-il pas jeté aux oubliettes de l’histoire ?  Réduit à néant par cette haine terrible entre chrétiens de pays ennemis ? Phénomène terrible, qui s’est reproduit par exemple au Rwanda il y a 25 ans, lorsque furent massacrés près d’un million de Tutsis, dans ce pays qui n’était pourtant pas musulman, mais catholique à 90%, et qui passait alors pour un fleuron de l’évangélisation et de l’Eglise en Afrique.

 Or, le rôle de l’Eglise, ce n’est pas d’être brillante ; mais, sa mission, même si les chrétiens pratiquants sont peu nombreux, c’est d’être le sel de la terre.  C’est de travailler de toutes ses forces à ce que grandisse le règne de Dieu.  Pardonnez-moi de prendre des exemples dans le monde politique, mais je pense à une dirigeante comme Angela Merkel ; fille de pasteur protestant, elle n’a jamais caché que ses engagements étaient le fruit de sa foi chrétienne. Quelles belles avancée cette croyante fervente a pu faire faire au règne de Dieu et à ses valeurs, en Allemagne et au-delà, depuis de nombreuses années !

 2° exemple : dans son édition de vendredi, le journal « La Croix » titre ainsi son éditorial en 1° page : « l’espoir Biden ». Joe Biden ne s’en vante pas, mais c’est un catholique pratiquant régulier.  Son ambition profonde, son objectif politique est fort et simple ; ainsi qu'il l'a lui-même exprimé : "reconstruire le monde en mieux", tisser des liens entre les nations, comme avec l’Europe en ces jours. Et aussi par exemple, scandalisé qu’il est par le fait que 25 personnes détiennent autant de richesses financières que tout le reste de l’humanité, travailler à créer une économie qui soit plus ouverte à tous les humains. Vous connaissez les décisions qu’il a déjà prises en ce sens.  C’est ainsi que peut grandir le règne d’amour de Dieu, basé sur l’égalité et la fraternité évangéliques…

 Autre fait, saisi cette semaine, sur le Pays des Olonnes.  Une femme se sentait à la dernière extrémité.  Avant de quitter cette terre, elle a exprimé cette phrase pleine de foi, devant son beau-frère, non croyant : « Tu te rends compte, je vais voir mon Dieu. »  Et le beau-frère, bouleversé, de lui répondre, bien que non croyant : « C’est cela, va voir ton Dieu. »  D’avoir entendu cet acte de foi, ça l’a travaillé, le beau-frère, et cela va peut-être faire bouger des choses dans son esprit !  C’est comme cela qu’il avance, le règne de Dieu.

 Des petites graines telles que celles-ci, il en fourmille de multiples, qu’il faut savoir repérer, au sein de notre société ! Avez-vous suivi l’émission de la Grande Librairie mercredi soir sur la Cinq, dans laquelle était reçu Edgar Morin, ce sage qui va avoir 100 ans début juillet ?  Lorsque l’animateur, François Busnel, lui a demandé ce qui avait été le plus déterrminant pour lui dans a vie, il a répondu : « Dans notre société, qui voit la dégradation de toutes les solidarités, familiales, locales, internationales…,  ma religion, c’est la fraternité humaine. »

 Lorsque l’on entend de telles phrases, ne peut-on pas repérer alors le règne de Dieu qui avance ?  Puisque, comme le disait St Thomas d’Aquin : « Toute vérité, dite par qui que ce soit, vient de l’Esprit-Saint. »  Qui que ce soit, c’est-à-dire, chrétien ou  non chrétien…Un tel homme, Edgar Morin, est sans doute, et c'est là l''oeuvre sous-jacente de Dieu, sous la mouvance de l'Esprit-Saint !

 Je cite souvent cette remarque de Péguy exprimant son admiration devant, je cite : « Ces athées qui ruissellent d’Evangile. »  La phrase est superbe. Péguy disait aussi : « Le corps du Christ est plus étendu qu’on ne le pense. »

 Cette remarque est très éclairante par rapport à la parabole de Jésus disant que le règne de Dieu est semblable à un arbre immense, bien plus grand, bien plus large que la seule Eglise catholique.

 Mais ceci n’est possible que grâce au témoignage des chrétiens que vous êtes : peu nombreux, modestes, très âgés parfois, mais pleins de foi et d’espérance, à l’image de cette femme témoignant jusque sur son lit de mort, face à un  non-croyant.

 Malgré notre faiblesse, et même quand nous dormons, le règne de Dieu avance, ne le voyons-nous pas ?  Même si notre Eglise est petite, le règne de Dieu, sur cette terre, est sans doute bien plus grand que nous n’osons l’imaginer. Et c’est cela qui nourrit notre joie et notre espérance, cr avec l’Esprit-Saint, ensemble, nous en sommes les acteurs et les témoins.           Amen !