Je vous transmets ce que je viens de recevoir de la part de Jean-Pierre, un ami diacre au service du diocèse de Nantes :
L’Église
catholique a-t-elle un problème avec les femmes?
La
formulation de la question est un peu provocatrice, mais oui l'Eglise
a depuis des siècles un problème avec les femmes, comme d'une façon
générale les deux autres monothéismes et peut-être la plupart des
religions. Cela ne vaut pas excuse, il aurait été tellement bon et
légitime qu'il en fut différemment pour le christianisme depuis les
origines! A quelques heureuses exceptions récentes près, les femmes
sont absentes de la gouvernance et du commentaire de la parole de
Dieu lors de la célébration dominicale, alors qu’elles sont
présentes partout ailleurs. Elles sont la chair des paroisses, elles
sont souvent l'âme des églises domestiques que sont les familles et
ce sont encore elles qui, la plupart du temps, s'occupent du
catéchisme.
Dans
notre représentation, l'Eglise est par définition atemporelle, une
Église patriarcale hors des courants, des modes et des outrages du
temps. Or, en l'absence d'une implication beaucoup plus forte des
femmes dans des fonctions de responsabilité et de visibilité, notre
Eglise court paradoxalement le risque de devenir une Église démodée,
non pas atemporelle mais anachronique et dépassée dans son
organisation. L’Église catholique, c'est-à-dire universelle, si
elle n'est pas du monde est bien inscrite dans le monde et elle ne
peut pas se réfugier dans une logique de niche auto référencée
par rapport au monde.
La
question des responsabilités des laïcs et donc aussi des femmes a
été largement soulevée lors des consultations qui ont précédé
le synode : aujourd’hui le
problème saute aux yeux. La guerre des enfants de choeur qui
voudrait qu’il n’y ait que des garçons autour de l’autel comme
cela se voit en certains endroits, ne passe plus. Dans les dicastères
du Vatican où les femmes commencent à être plus nombreuses
qu’autrefois, et où elles occupent de plus hautes responsabilités,
l’atmosphère est radicalement différente. Il suffit de quelques
femmes pour que, déjà, la curie ne soit plus cet entre soi clérical
malheureusement si facilement stigmatisable.
On
dit souvent qu’il serait aujourd’hui impossible
de réunir un concile au niveau de l’Église universelle en raison
de la difficulté matérielle à rassembler plus de 5000 évêques.
Mais là n'est plus la question. L’image de la salle Paul VI,
pendant le synode, avec des cardinaux, des évêques, des prêtres,
des religieux et des religieuses, des laïcs, hommes et femmes,
autour des tables sur un même plan manifeste un basculement
d’époque, la prise de conscience qu’il est devenu impossible de
décider seulement entre évêques. D'une certaine manière, le
synode sur la synodalité a très naturellement rendu obsolète la
perspective d'un concile Vatican III! Qui
pourrait aujourd'hui imaginer
que l'avenir de l'Eglise puisse se discerner dans une assemblée
d'évêques seulement?
Quelle
est la place des femmes dans la gouvernance du diocèse
d’Alger?
Dans
notre diocèse, j'ai voulu m'entourer d'une équipe restreinte en
plus des différents conseils. Elle est composée des principaux
responsables qui forment la curie diocésaine: vicaire général,
secrétaire générale, économe, économe-adjointe, responsable de
la diaconie et moi-même. Il se trouve que cela forme une équipe
composée de quatre femmes et deux hommes. La plupart des décisions
sont réfléchies ensemble. D'une façon plus générale, je vis dans
un environnement essentiellement féminin et c’est du bonheur au
quotidien! Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas d’accrochages.
Un jour, l’une d’elles m’a lancé: “ à la fin, de toutes
façons, c’est toi qui décides !”. C’est vrai, et c'est une
vraie question. Dans notre Eglise catholique, les décisions sont
assumées par l'évêque qui les incarne. Le modèle peut sans doute
évoluer. A ce titre les modèles de gouvernance dans la vie
religieuse peuvent être inspirants: beaucoup de décisions sont
prises par des chapitres ou des conseils élus, et les limitations au
pouvoir de décision des supérieurs ne retirent rien à leur pouvoir
symbolique. Cela dit, il me semble que dans la plupart des cas, la
confiance qui nait de la connaissance mutuelle et de la poursuite
d'un projet commun, fait que la plus grande partie des décisions
font l'objet d'un large consensus quand ce n'est pas l'unanimité. En
dans tous les cas, les avis de chacun et chacune ont été entendus
et ont pesé d'une façon ou d'une autre sur la décision qui s'en
ressent. Je crois que c'est une expérience forte pour chacun et
chacune, moi y compris!
Derrière
la question des femmes il y a celle de la place des laïcs…
Bien
sûr ! Lors de la phase diocésaine du synode sur la synodalité,
dans le diocèse d'Alger, le souhait des chrétiens natifs du pays à
participer à la vie de l'Eglise a été fortement exprimé. Ils
considèrent à juste titre l'Eglise comme leur Eglise car
algérienne. Pourtant, ils se sentent marginalisés au profit de
permanents que nous sommes, essentiellement religieux et étrangers,
qui depuis l'indépendance du pays constituent l'essentiel des forces
vives de l'Eglise. De fait, ils étaient quasiment absents des
instances de décision. Nous avons entendu cet appel et en avons tenu
fortement compte dans la composition des differents conseils
épiscopal, économique et pastoral. Au conseil épiscopal, il y a
trois prêtres, une religieuse, une focolarine et 4 laïcs algériens
dont 2 femmes. Cela change totalement l'atmosphère. Là encore, nous
sortons d'un entre-soi. Ce n'est pas toujours facile et rien n'est
gagné, mais nos codes, nos évidences, sont à remiser au placard.
Il nous faut apprendre à nous comprendre et à mesurer l'abîme
d'incompréhension qui parfois nous sépare dont nous n'avions pas
conscience car il n'avait pas de lieu d'expression. Notre Église
doit devenir beaucoup moins cléricale, c'est un enjeu pour l'Eglise
universelle à tous les niveaux et en tous lieux. Cet enjeu n'est pas
dépourvu d'une revendication de pouvoir, avec tout ce que cela peut
avoir de désagréable. Mais reprocher à l'autre de vouloir prendre
un pouvoir signifie souvent l'exercer soi-même sans forcément en
avoir conscience. C'est la raison pour laquelle j'ai beaucoup de mal
à entendre écarter les revendications de femmes dans l'Eglise par
un: “pourquoi veulent-elles le pouvoir?”
Dans
un certain nombre de sociétés, le fonctionnement de l’Église se
trouve en tension sur ces questions avec l’idéal démocratique
!
Le
principe d'organisation hiérarchique de l'Eglise est d'inspiration
monarchique...étant sauve la succession héréditaire! C'est
l'organisation humaine qui est depuis presque l'origine la garante de
l'unité, et elle a plutôt fait ses preuves. En tous les cas, nous
sommes cela. Cela n'exclut pas en son sein des fonctionnements et des
instances plus démocratiques à l'instar des monarchies modernes.
Nos frères et soeurs des Églises protestantes ont viscéralement
cette culture démocratique, c'est-à-dire synodale, et nous aurions
sans doute beaucoup à apprendre d'eux dans ce grand mouvement de
synodalité à la mode catholique initié par le Saint Père. La
dynamique synodale ne va pas s'arrêter, elle va s'étendre et se
répandre à tous les niveaux de l'Eglise sans pour autant remettre
en cause sa structure sacramentelle. Tout retour en arrière
apparaitra vite complètement anachronique parce que l'Eglise est
l'affaire de tous les baptisés. Ma conviction profonde est que la
responsabilité dans l'Eglise, dont les questions de pouvoir sont une
dénaturation, augmente en même temps qu'elle se partage. Partager
la responsabilité c'est l'augmenter et notre Eglise souffre d'un
grand déficit de prise de responsabilité.
Que
pensez-vous du diaconat féminin?
A
titre personnel, je l'appelle de mes voeux! Il me semble impossible
de priver les fidèles, et donc moi aussi, de la réception féminine
de la Parole de Dieu. Aucun des arguments avancés ne m'a jamais
convaincu. Alors oui, j'aimerais que cette question du diaconat
féminin avance ou qu'à tout le moins un pas de plus soit fait dans
le sens de l'autorisation des femmes, et plus généralement des
laïcs formés, à commenter la parole de Dieu dans le cadre de la
célébration dominicale. A la différence du ministère presbytéral,
le diaconat féminin trouve des racines dans la tradition de l'Eglise
et je peine à voir les objections qui peuvent lui être opposées,
sauf à réserver le choeur, c'est-à-dire l'exercice du sacré, au
masculin. Sur cette question des ministères, comme sur celle de la
gouvernance, l'horizon se dévoile et s'élargit en marchant. Ce qui
semblait impensable hier peut si facilement devenir une évidence
demain. Une présence uniquement masculine dans le choeur, les
grandes processions d'entrée exclusivement masculines nous
semblent aujourd'hui aller
de soi. En sera-t-il toujours ainsi ou cela nous apparaitra-t-il un
jour trop anachronique? Le seul fait de se poser la question opère
déjà un changement du regard...
Le
problème ne vient-il pas du fait que l’on considère souvent les
vocations féminines non pas en soi, mais par rapport aux vocations
masculines?
En
effet, la vocation féminine dans l'Eglise est traditionnellement
pensée en terme de complémentarité. Ce n'est plus suffisant, il
faut aussi la penser en terme d'altérité. La vocation féminine
vaut par elle-même. Cette dimension d'altérité est à présent
très présente dans la vie conjugale. Les tâches sont partagées,
les deux parents peuvent travailler, s'occuper des enfants... Chacun
les accomplit dans sa différence de sexe, de caractère... Ce sont
les mêmes tâches effectuées différemment. C'est vrai pour tous
les domaines de la société. Comment penser qu'il ne puisse pas y
avoir un écho de cette évolution sociétale au sein de l'Eglise
dans la façon dont sont exercés les charismes et les ministères,
dans le respect de la tradition qui n'est pas un corps mort mais un
corps vivant, à la fois immobile et toujours en mouvement.
Cette
question de l'altérité renvoie à celle de la fraternité. En
effet, la fraternité à la fois requiert et rend possible
l'altérité. Ce n'est pas tout à fait le cas de la paternité
spirituelle. Je crois à la paternité spirituelle, en tant que frère
dominicain en formation j'en ai fait l'expérience. Mais cette
paternité spirituelle, je l'ai reçue d'un frère, d'un alter-ego
autrement plus avancé que moi dans la vie religieuse, et aussi dans
la sainteté. S'il n'était pas décédé avant, j'aurais pu être
son prieur provincial. J'ai du mal avec la paternité spirituelle
institutionnalisée telle que nous la vivons dans l'Eglise. Les rôles
ne s'inversent jamais à l'instar de la paternité dans la vraie vie
où les relations ne cessent d'évoluer entre des parents et des
enfants sur l'ensemble d'une vie. Un jour, les enfants prennent soin
des parents. Il en va différemment du patriarche qui conserve son
autorité jusqu'à la mort. Et dans ce sens, la paternité
spirituelle institutionnalisée me semble davantage un modèle
patriarcal que paternel. La fraternité, comme dans une vraie
fratrie, rend possible toutes les formes de relations. Une grande
sœur pourra avoir un temps un rôle maternel vis-à-vis de son petit
frère. Il en restera toujours quelque chose, mais chacun vivra
l'altérité fondamentale qu'ils ont reçue du fait d'être l'une et
l'autre enfants de mêmes parents. La vie se chargera de faire
évoluer leur lien, et peut-être un moment de l'inverser.
Je
crois profondément que notre Eglise a davantage à se penser comme
une communauté de frères et de sœurs. C'est le témoignage le plus
haut qu'elle puisse donner au monde. Davantage qu'une lutte de
pouvoir, le rééquilibrage nécessaire entre clercs et laïcs, entre
hommes et femmes est un enjeu d'altérité et de fraternité. Si
j'aime être appelé frère plutôt que père ou monseigneur, ce
n'est pas par fausse modestie ou coquetterie, c'est précisément en
raison de cet enjeu d'altérité qui ne relève pas d'un choix mais
d'une évidence: j'ai besoin des frères et des soeurs de mon
diocèse, comme j'avais besoin de mes frères dominicains pour être
ce que je suis pour eux.
Archevêque d’Alger
Réflexion parue dans le journal du Vatican : « l’Osservatore Romano »
1 commentaires:
Merci Olivier! Oui, une très belle réflexion d'un évêque qui ne vit pas retranché dans une cathédrale dorée mais confronté aux réalités de la vie qui s'impose à tous y compris à notre chère Eglise. Dieu fasse que ce message de Jean-Paul Vesco soit entendu et validé par une majorité de ses confrères cardinaux, évêques et par des chrétiens baptisés. Très fraternellement............ Rico
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