Nous sommes tous sidérés par le terrible pogrom du 7 octobre, au cours duquel de nombreux Israéliens ont été enlevés ou ont trouvé la mort dans des conditions horribles. Et nous n'arrivons ni à comprendre ni à accepter ces milliers de morts à présent, en représailles, sur le territoire de Gaza. Alors, nous réagissons, et c'est heureux, et nous nous élevons contre ce déluge de mort qui défigure et désespère notre humanité. Les uns d'accuser violemment les Israéliens de piétiner le beau message biblique de fraternité ; mais si nous avions été nous-mêmes victimes du massacre du 7 octobre, comment aurions-nous réagi ? N'avons-nous pas nous-mêmes un grave examen de conscience à faire, non pas pour aujourd'hui peut-être, mais par rapport à l'Histoire, face à cette terrible situation ? Même s'il n'est pas confortable pour nous, à l'abri de nos "certitudes", oublieux de notre passé que nous avons refoulé, repliés sur nos bons sentiments, de nous poser de telles questions.
N'est-ce pas l'Europe en effet, c'est-à-dire nous, à travers nos ancêtres, les gens de notre sang, qui a écrasé, rejeté, incompris, crucifié les Juifs qui habitaient en son sein, et cela pendant 2000 ans, au nom de notre foi catholique le plus souvent ? N'est-ce pas chez nous, en Europe, que des millions de Juifs ont été exterminés ? Et ce n'était pas l'oeuvre de musulmans !!!
Comme le dit un historien juif, Shlomo Sand (voir "La Croix" du 15 janvier, page 19) : " Je vais être très brutal : c'est l'Europe qui nous a vomi sur les Arabes de Palestine. C'est la raison pour laquelle le comportement des Européens, Allemands, Français, Anglais, m'énerve tellement. Vous êtes responsables des tragédies des Palestiniens à long terme."
J'en arrive au titre de ce billet. Quand j'entends des Français et autres pousser des hauts cris contre l'horrible destruction de Gaza et le massacre de 25.000 Gazaouis à ce jour, je ne peux que les comprendre. Mais j'aimerais un peu plus de retenue de leur part. Ne faut-il pas un sacré culot en effet, et de graves oubli de notre part, pour que nous puissions nous permettre de porter des jugements et des condamnations sans appel.
Nous qui nous considérons comme des âmes pures, n'avons-nous pas trop vite oublié que, durant la terrible guerre d'Algérie, et alors que là-bas, nous n'étions pas chez nous, contrairement en partie aux Juifs en Israël, nous Français, nous avons tué au moins 400.000 Algériens ? La plupart des sources s'accordent sur ce bilan de 400.000 Algériens morts, civils et combattants, sans compter des centaines de milliers de blessés et handicapés.
Et je ne dis pas dans quelles conditions : l'utilisation forte de la torture, le fait de jeter des prisonniers vivants du haut des avions ; tandis que, pendant cette guerre, outres des destructions de toute sorte, ce sont des centaines de villages qui ont été rasés au napalm, et les villageois brûlés... Dieu merci, si je puis dire, on n'en est encore pas là à Gaza, même si la situation y est plus qu'effroyable. La France a fait bien pire en effet, et il n'y a pas si longtemps que cela : vite passé, vite oublié, conscience tranquille ! Par contre, les petits-enfants qui écument nos banlieues, ainsi que les fils et filles de harkis lâchement abandonnés par la France, eux, s'en souviennent !
Dans le même sens, et je ne parlerai pas de ce qui s'est passé dans d'autres colonies, au Vietnam par exemple, avons-nous déjà oublié ce qui s'est passé en 1947 à Madagascar ? Mais qu'est-ce que nous étions allés faire là-bas ? Bien pire que les colons israéliens en Cisjordanie. Suite à la révolte des Malgaches contre la colonisation française, lorsque celle-ci a été "matée", le Haut-Commissaire lui-même a annoncé le chiffre de 100.000 morts ; tandis que du côté des militaires et des colons, on recensait 550 morts.
Question : comment avons-nous pu oublier tout cela ? "Ah, je ne savais pas..." Mais vous savez à présent ! Et qu'est-ce que vous en faites ? N'est-ce pas pour cela que, sous nos yeux naïfs et étonnés, les nations du tiers monde et du grand Sud se tapent sur le ventre et nous regardent de travers, après ce que nous leur avons fait subir, quand nous leurs demandons de respecter les droits de l'Homme ?
Vous allez me dire : pourquoi parler de tout cela ? Qu'est-ce que cela va faire avancer ? Je n'en sais rien ! Peut-être cela pourrait-il aider à une prise de conscience plus forte, bien que tardive, de nos propres failles... Mais en tout cas, cela peut nous inviter à rester humbles, modestes, et plus prudents dans nos analyses des situations comme en ce qui concerne nos jugements. Quand les droits de l'Homme, nous n'avons pas su les respecter, sommes-nous bien placés pour reprocher à d'autres de les piétiner ?
En un mot, qui sommes-nous pour juger et condamner ? Sans vouloir cacher la vérité, un peu de pudeur ne nous fera pas de mal par rapport à notre façon de nous exprimer, face aux grands problèmes de ce temps !
2 commentaires:
Commentaire lumineux! Merci beaucoup. Face aux drames du Moyen Orient, la moindre des choses est de "faire profil bas". Effectivement, l'antisémitisme est, hélas, une marque de fabrique du monde catholique, jusqu'à un passé récent (merci à Loic de Kerimel, dans "pour en finir avec le clericalisme", de nous le rappeler
Dominique Rivière
dernier livre: Foi dite en Cantal Eivyls ed 2022
pour la partie qui me concerne : l'Algerie j'adhere
Enregistrer un commentaire