Bertrand, adhérent au groupe interreligieux et interconvictionnel "Dialogue pour la paix" sur le Pays des Olonnes, me fait parvenir cette réflexion de Pierre Ouzoulias : "Entre l’hypocrisie de l’extrême-droite pour masquer son racisme et la confusion intellectuelle à gauche entretenue par des positions outrancières, ci-dessous, le texte lumineux du sénateur communiste Pierre Ouzoulias" :
vendredi 10 novembre 2023
Le Blog de l'Arche de Noé 85, n° 2881 : "Des lumières dans la nuit"
"À
l’Est, chaque jour accueille son cortège de morts toujours plus
nombreuses. Israéliennes d’abord, victimes des atrocités commises par
les terroristes du Hamas.
Palestiniennes ensuite, victimes des opérations déclenchées par l’armée israélienne.
En
France, l'antisémitisme connaît une recrudescence insupportable et la
raison semble avoir déserté pour de bon le débat public.
Que faire ?
L’air est irrespirable.
À
l’Est, chaque jour accueille son cortège de morts toujours plus
nombreuses. Israéliennes d’abord, victimes le 7 octobre dernier des
atrocités commises par les terroristes du Hamas. Palestiniennes ensuite,
victimes des opérations déclenchées par l’armée israélienne dans la
bande de Gaza.
À
l’Ouest, la raison semble avoir déserté pour de bon le débat public. Des
étoiles de David ont été taguées à Paris, dans les Hauts-de-Seine et en
Seine–Saint-Denis, ce qui nous a immanquablement rappelé les périodes
les plus sombres de notre histoire, durant lesquelles notre République
s’est suicidée pour laisser la place aux idées les plus macabres. De
manière générale, le ministère de l’Intérieur note une recrudescence
très inquiétante des actes antisémites, que certains imputent avec
grande violence et sans la moindre preuve, à nos compatriotes de
confession musulmane.
Au
milieu de ce marasme politique, propice aux invectives en tous genres,
je me demande, non sans vertige, à quoi je peux bien servir, moi, petit
parlementaire communiste des Hauts-de-Seine. Mon introspection est
d’autant plus grande que je me sens investi d’une charge particulière en
tant que petit-fils d’un illustre résistant et mari d’une femme
libanaise qui a vécu dans sa chair les atrocités de la guerre. Que
puis-je faire dans cette période où tout semble confus et sacrifié sur
l’autel de la petite phrase, carburant inépuisable des chaines
d’information ? La première réponse qui me vient m’incite à rappeler
quelques évidences et à dresser des perspectives politiques.
La
première évidence consiste à affirmer que le Hamas est une force
terroriste islamiste dont la vocation n’a jamais été de parvenir à la
paix, mais bel et bien de contraindre tous les acteurs israéliens et
palestiniens qui ont voulu s’inscrire dans cette voie. Demandez-vous
donc pourquoi le Hamas s’est systématiquement trouvé du mauvais côté de
la barrière, notamment lors du processus d’Oslo, parfois avec la
complicité de responsables israéliens et arabes, qui ont compris que le
terrorisme islamiste constituait la planche de salut d’une politique
colonisatrice contraire aux résolutions de l’ONU. Le Hamas est un
mouvement antisémite, phallocrate, homophobe et fondamentalement
anti-lumières. Il faut le dire et le répéter jusqu’à plus soif. C’est un
devoir moral que nous avons vis-à-vis de nos valeurs universelles, mais
aussi vis-à-vis des Palestiniennes et des Palestiniens qui sont
aujourd'hui captifs de tous les extrémistes : ceux du Hamas et ceux de
l'extrême droite israélienne, laquelle se réjouit des frappes
destructrices en cours à Gaza.
Car
de la première évidence dépend la deuxième évidence, dont je crains
hélas qu’elle devienne de plus en plus minoritaire. Fidèle à une
tradition gaullo-mitterandienne, notre pays revendique une solution à
deux États, laquelle est la seule souhaitable pour les peuples
israéliens et palestiniens. Elle est l’unique garantie de la paix dans
cette région du monde soumise aux plus grandes instabilités
géopolitiques. Le conflit israélo-palestinien n’a rien de
civilisationnel comme voudrait le faire croire une extrême droite qui se
réjouit, tel un croque-mort, du profit qu’elle pourrait tirer de cette
situation dramatique. Il est d’ordre politique et se réglera comme tel.
Je ne demande pas à Emmanuel Macron de parler plus fort que les autres.
Je souhaite qu’il parle mieux. Qu’il le veuille ou non, en tant que chef
de l’État et titulaire des prérogatives diplomatiques, c’est à lui
qu’il revient de poser les mains sur le fil d’or de notre histoire
internationale. En son temps, Dominique de Villepin avait prononcé un
discours qui avait fait notre fierté collective à propos du refus de la
France de mener la guerre à l’Irak. Nous sommes en droit d’attendre une
initiative de ce type qui nous distinguerait aux yeux de tous, à
commencer par toutes les forces progressistes du Moyen-Orient, en
particulier palestiniennes, laissées depuis trop longtemps à l’abandon
par des occidentaux obsédés par la satisfaction de leurs propres
intérêts. Libération des otages, cessez-le feu, émergence d’un processus
politique pour aboutir à la création de deux États. Voici le cahier des
charges que le peuple français a confié à Emmanuel Macron. Il doit le
respecter.
La troisième
évidence concerne la montée de l’antisémitisme en France et la place
que la gauche doit jouer pour lutter contre ce fléau. J’aime le rappeler
à ceux qui m’entourent : je suis membre d’un parti qui a souvent été
amalgamé par l’extrême droite sous le doux nom de « judéo-bolchevique ».
Jeune, je militais avec mon père dans des sections communistes
composées pour moitié par des camarades de confession juive. C’était une
période durant laquelle l’extrême gauche comptait parmi ses leaders des
personnes telles que Alain Krivine, Henri Weber et Daniel Bensaïd, dont
il était dit, non sans humour, que les deux premiers parlaient yiddish
afin que le troisième ne les comprenne pas. Eux se revendiquaient de
Trotsky, juif ukrainien, tandis que nous avons tous été baignés dans
l’eau du marxisme, issue de la pensée d’un immense intellectuel juif —
aux écrits parfois plus que virulents à l’endroit de la religion — dont
le grand-père était rabbin. Bref, il n’y a pas si longtemps encore, la
gauche pouvait se targuer d’être la maison d’accueil de nos compatriotes
de confession juive qui considéraient, à raison, qu’elle serait
toujours présente à leurs côtés pour empêcher que les horreurs de la
Shoah ne se reproduisent un jour.
C’était
leur honneur et le nôtre de penser ainsi. Parce qu’il n’y a pas de
République française sans les juifs de France. C’est aussi simple que
cela. C’est une leçon héritée de la Révolution française et de l’abbé
Grégoire. Nos illustres ainés se sont souvenus de ce legs historique au
moment de l’affaire Dreyfus, au cours de laquelle la gauche a fait le
choix de l’universalisme et de la lutte contre le racisme et
l’antisémitisme, quand l’extrême droite elle se noyait dans les rivières
du racialisme. La gauche était aux côtés de Léon Blum — insulté en tant
que juif par Xavier Vallat au perchoir de l’Assemblée nationale le 6
juin 1936 — quand celui-ci manqua de se faire tuer par des camelots du
roi durant les obsèques de Jacques Bainville. Elle était du côté des
justes et des résistants pour défendre les juifs des griffes de la bête
immonde. Tout comme les juifs furent très nombreux au sein des FTP-MOI
pour libérer notre pays du joug nazi et vichyste. Elle a pleuré les
morts de l’attentat de la rue des Rosiers, celle d’Ilan Halimi,
séquestré, torturé et tué parce que juif. Des enfants juifs assassinés
par Mohamed Merah. Des victimes juives de l’infâme Coulibaly à
l’hypercasher de la porte de Vincennes.
C’est
notre histoire. Une histoire conforme avec nos valeurs. Nous devons la
revendiquer avec force, sous peine d’entretenir des confusions
intellectuelles dont les conséquences politiques commencent à se
ressentir. Ainsi, à force d’atermoiement, la gauche a fini par se rendre
inaudible sur ce sujet, tandis que Marine Le Pen, à la tête d’un parti
fondé par un Waffen-SS, s’est fait applaudir pour son discours «
républicain » à propos de l’antisémitisme. C’est à vomir.
La
gauche à laquelle j’appartiens est profondément laïque, universaliste
et fraternelle. Elle se tient aux côtés de tous ses enfants. Suivant les
mots de Frantz Fanon, elle dressera l’oreille quand elle entendra dire
du mal d’un juif. Elle se lèvera aussi à chaque fois qu’un ou une de nos
compatriotes de confession musulmane se fera insulter ou discriminer en
raison de sa religion ou de son origine. Il s’agit du lot de beaucoup
de trop de personnes en France et je m’étonne encore que certains de nos
amis se rendent sur C-News alors que cette chaîne n’a qu’un seul objet
éditorial : renouer avec les croisades en déversant de la haine à
l’encontre des Françaises et des Français de confession musulmane.
La
République française se conjugue avec le judaïsme, comme elle finira
par se conjuguer intégralement avec l’islam. Je n’ai absolument aucun
doute à ce sujet parce que je sais de quelle intelligence collective
notre peuple est dotée. Je crois aussi énormément dans la capacité
extraordinaire de la laïcité à maintenir la concorde et à créer du
commun, à condition, bien évidemment, que nous soyons tous sur le pont
pour la défendre.
C’est
à la gauche qu’il revient d’effectuer ce travail politique. Pour ce
faire, nous devons garder le cap de l’égalité des droits. Égalité des
droits au sein de notre République laïque et sociale, en brisant le
néolibéralisme et en impulsant des politiques sociales d’envergure
capables de redonner à chacune et à chacun les outils de son
émancipation et le gout de la fraternité. Égalité des droits entre les
nations, pour que les peuples israéliens et palestiniens vivent en paix."
Publié par
Olivier Gaignet
à
10:49
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1 commentaires:
Merci pour ce très beau texte de Pierre Ouzoulias !
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