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...Alors, en réponse à vos attentes, Olivier Gaignet vous propose de vous exprimer librement.
Ici, tout pourra être dit dans les limites de la courtoisie et du respect mutuel.

Merci d'avance de votre participation.


Depuis novembre 2007, Olivier Gaignet partage sur son blog ses réflexions sur Dieu et sur l’Eglise. bien sûr,
mais aussi sur la marche du monde. Il nous invite à réfléchir à des thèmes aussi essentiels que : notre société, les autres religions,
la télé, la politique, l’art, sans oublier ses propres paroissiens.
Les billets des cinq premières années (de novembre 2007 à septembre 2012 )ne figurent plus sur ce blog. Pour les consulter, se référer aux cinq volumes intitulés: "Ma paroisse.com", que vous pouvez vous procurer en envoyant un mail à : olivier.gaignet@yahoo.fr



mardi 2 février 2021

Le Blog de l'Arche de Noé 85, n° 2582 : "Après vous !" (devise d'Emmanuel Lévinas)

 Samedi dernier, faisant mes courses à Super U, j'arrive devant le rayon "boucherie" ; chouette, personne : je n'aurai pas à faire la queue." Le serveur arrive et me salue ; je lui répond et m'apprête à faire ma commande, lorsque surgit près de moi une jeune femme, apparemment très excitée, qui s'écrie d'une voix forte : "C'est moi qui étais la première." Et de jeter sur moi, l'usurpateur, un regard mauvais. Je lui répond, un peu interloqué : "Excusez-moi, madame, mais quand je suis arrivé, il n'y avait personne."  "Oui, me rétorque-t-elle,  mais j'étais là avant ; et j'avais dit à monsieur (l'employé) que j'allais juste jeter un coup d'oeil au rayon derrière, et que je revenais tout de suite." J'ai repensé en moi-même au dicton rappelant que "qui va à la chasse perd sa place", mais j'ai préféré éviter la polémique et lui ai laissé la place.  J'ai peut-être eu tort de m'écraser ?  En tout cas, je n'ai pas eu droit au moindre merci, alors que j'avais l'âge d'être son grand-père...  Enfin !

Puis, hier matin, tout en faisant le grand ménage dans mon logement comme chaque lundi, j'écoutais à la radio une émission à propos d'Emmanuel Lévinas, un de mes maîtres à penser préférés ; l'un des intervenants a cité la devise de ce philosophe : "Après vous".  Cela m'a rappelé ce qui m'était arrivé au Super U... Une fois le ménage terminé, j'ai ressorti mon petit dossier d'articles découpés à propos de Lévinas. C'est toujours un régal de relire ce qu'a écrit celui qui fut l'un des plus grands philosophes du XX° siècle. Voici par exemple comment il pense sa relation avec autrui :

"Etre responsable d'autrui, c'est être otage.  On l'est injustement, mais cet injustement est un élément essentiel de la responsabilité.  Ne pas regarder où cela dépasse ma faute, où la faute d'autrui est plus claire que mes acomptes.  La vie morale est cette constante attitude."  Une telle réflexion tombait pile, suite à l'incident vécu au Super U.

Emmanuel Lévinas (1906-1995), d'origine juive, est né en Lituanie. Son père, sa mère et ses deux frères furent exécutés par les nazis. Il a vécu les pages sombres du XX° siècle. Il a parlé du "désespoir continu" dont il a fait l'expérience terrifiante durant la première moitié de ce siècle. Et ce grand naufrage de l'humanisme qu'a vécu l'Europe lui a fait prendre conscience de la vulnérabilité de l'homme. Seule solution pour ne pas perdre tout espoir : prendre le contre-pied total de ces idéologies destructrices, et prendre le parti de se laisser bouleverser par le visage de l'autre.

Dans un article du journal "Le Monde" intitulé, de façon révélatrice : "L'autre avant tout", l'écrivain Roger-Pol Droit écrit ceci : "Le retournement radical que développe, de mille façons, la pensée de Lévinas consiste avant tout à constater que l'autre a priorité sur moi. L'éthique prend à la lettre, et au sérieux, la banale formule de politesse "après vous, je vous en prie" ; elle y voit la clé du monde et en fait une règle de vie, aussi bien personnelle que collective."

Il a fallu attendre les années 80 pour que l'on découvre la nouveauté absolue d'une telle vision. Depuis ce temps, Lévinas s'est imposé comme "le penseur de l'Autre", de l'humain véritable. Jean-Paul II l'invita au Vatican pour pouvoir l'écouter et échanger avec ce personnage hors norme dans notre société axée sur la prééminence du "Moi". Mais à quelles sources Lévinas avait-il puisé ses intuitions ? Il se définissait comme un fils du Deutéronome ; pour mieux comprendre ce qui a pu le marquer, relisons par exemple le chapitre 24/5-22... Quelle leçon pour notre société !  Quelle interrogation, plus actuelle que jamais, vis-à-vis du rapport que l'on peut avoir avec notre prochain !  "S'offrir à l'autre", disait-il : tout un programme !

"Après vous !"  Et pourquoi cela ne serait-ce pas également notre devise à tous ?

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Je vous invite à méditer quelques instants en écoutant une chanson de Jean Ferrat, sur des paroles magnifiques de Louis Aragon. A partir du 2 ou 3° couplet, vous saisirez le rapport avec l'humanisme prôné par Lévinas :  "... connaître la douleurs vis-à-vis des douleurs du monde..."

 

 

 

 

2 commentaires:


Elodie a dit…

Merci Olivier pour le partage de cette expérience que nous avons probablement tous pu presque pu vivre et qui conduit effectivement à réfléchir sur l'idée de rang, de priorité, de considération d'autrui et aussi à réfléchir à ce que signifie "être là" et "être là avant" (ou après).

Cette notion d'"être là" est une des grandes questions philosophiques, tout comme l'idée d'être avant ou après faisant penser à la fois au temps qui passe et à l'idée d'une sorte de classement, un peu comme dans une course...

C'est vrai aussi que lorsqu'on va dans une grande surface, on dit souvent qu'on va "faire ses courses".
Cela peut mettre en condition !
C'est assez amusant de prendre conscience de cela quand on note aussi le temps passé aux différentes files d'attente qui stoppe et/ou rend imprévisible cette "course".

Si l'on ajoute à cela la nouvelle règle imposée de ne pas trop traîner dans les centres commerciaux compte tenu de la covid, cela rajoute encore un peu plus de "jeu" et de "course" à ces courses que nous faisons déjà machinalement, habituellement.

J'aime bien aussi Lévinas et la façon dont il pense, regarde et aborde "son prochain" ; qui devient d'ailleurs quelquefois aussi son précédent lorsqu'il place l'autre en amont de lui. Il ya aussi dans ses textes je crois la notion du don de soi et de responsabilité dans ce que l'on vit soi et aussi dans ce que l'autre vit.

En ce sens, mon cher Olivier, il y a mille et une façons d'imaginer et de penser que probablement cette femme a de bonnes raisons de penser et croire qu'elle était effectivement "là avant toi", tout comme tu as de tout aussi bonnes raisons de croire et penser que tu étais le premier dans cette course au rayon "boucherie".

Cela me fait aussi penser au premier arrivé du Vendée Globe qui ne se retrouve finalement pas en tête du classement...
Parfois certaines règles du jeu ou de la course (ignorées ou non) nous échappent...
C'est toujours riche et intéressant de voir comment les enfants, par exemple, mais aussi les adultes, "jouent" sans cesse à des mêmes "jeux", sans forcément s'en rendre compte, en s'en appropriant différemment les règles selon les circonstances.

Peut-être que si effectivement tu avais été son grand-père elle aurait réagi différemment ? Qui sait ?

Voici quelques citations de Levinas pour accompagner nos réflexions...

"La relation à autrui est asymétrique : je ne dois pas attendre de réciprocité"

“Le moi, devant autrui, est infiniment responsable”

Marie-France Dauce a dit…

Merci à vous deux Olivier, Élodie, pour cette belle réflexion sur notre relation aux autres ! Merci aussi à Aragon et Ferrat pour cette superbe chanson !

Je me demande ce que j'aurais fait dans ta situation Olivier. Selon mon humeur j'aurais pu lui répondre vertement, ou au contraire comme toi, m'effacer ! C'est l'attitude que j'essaie d'avoir...ma Maman nous disait toujours lorsque nous nous disputions (nous étions cinq) " C'est le plus intelligent qui s'arrête le premier" .... mais mon Dieu, que c'est difficile quelquefois...

J'aime bien le parallèle avec les "deux gagnants" du Vendée Globe !

Avancer dans cette réflexion, dans la pensée de Lévinas, dans l'amour du prochain, cela pourrait être une belle résolution pour cette année qui commence.