Vient de paraître, dans le journal "La Croix" de ce lundi 5 octobre, page 54, un article excellent du Frère Bernard-Marie, Tertiaire franciscain, docteur
en théologie et diplômé de langues bibliques (1). L’actualité de
Charlie-Hebdo fait ressurgir les questions autours du blasphème. On peut
donc critiquer une religion. Est-ce possible en revanche de l’insulter ? Il est important d'y réfléchir en ce jour où le pape François publie une encyclique au titre interpellant, particulièrement en ces jours : "Tous frères".
Droit au blasphème et devoir de respect
Le « droit au blasphème » se conçoit parfaitement si celui qui le revendique est incroyant. Cela revient alors au droit de critiquer, de moquer, voire d’injurier une idéologie religieuse en laquelle on perçoit des formes d’obscurantisme contraires aux « Lumières » de la pure raison.
Finalement, le moqueur rationaliste est convaincu d’accomplir une mission libératrice par rapport à une forme d’esclavage psychique où prédominent l’irrationalité et l’arbitraire. Pour lui, les dogmes non négociables sont les lois de l’État. Comme le déclara un jour Jacques Chirac : « Il n’y a rien au-dessus des lois de la République. »
Cette manière de voir et de faire ne trouve sa pleine justification qu’en prêtant sa foi à un postulat de départ que l’on pourrait résumer ainsi : il n’existe aucun dieu nulle part, et c’est donc tout seul sur cette terre que nous devons travailler fraternellement au bonheur de tous et de chacun. Notre fragile paix sociale est faite de science et de compromis sociaux – cf. la laïcité légalisée en 1905 –, entre autres avec tous les déistes croyants que sont les juifs, les chrétiens, les musulmans et autres fidèles d’ici et d’ailleurs.
Dans la mesure où leur expression religieuse publique ne concurrence pas l’autorité suprême de l’État et dans les cadres bien définis que l’on sait, la République laisse faire, tout en s’arrogeant parfois le droit de critique et éventuellement de moquerie ou de blasphème.
Un chantre du rationalisme dira même : « Le blasphème des grands esprits est plus agréable à Dieu que la prière intéressée de l’homme vulgaire » (Ernest Renan). Certes, l’Apocalypse le proclamait déjà à sa façon il y a deux mille ans : à l’égard du Dieu de Jésus-Christ, mieux vaut être chaud ou froid que tiède (Ap 3, 16).
Faire toujours comme si Dieu existait.
Si à présent on pose comme possible l’existence de Dieu, au moins à titre d’hypothèse philosophique – comme Descartes, Voltaire, Einstein et bien d’autres que l’histoire a salués comme de grands esprits –, le « droit » au blasphème devient plus délicat à justifier et à pratiquer.
Si l’on admet avec Pascal qu’il existe davantage de raisons de croire que de ne pas croire, l’attitude la plus raisonnable, donc la plus humaniste, serait de faire toujours comme si Dieu existait. Du coup, on éviterait tout usage de paroles et actes qui pourrait paraître offensant à l’Être suprême et à ses dévots, quel que soit le nom qu’on lui donne.
D’autant que, dans les religions abrahamiques qui sont largement répandues en Occident, le blasphème est unanimement condamné : « Qui blasphème le nom de Dieu sera lapidé » (Lévitique 24, 16) ; « Qui blasphème contre l’Esprit Saint n’obtiendra jamais de pardon » (Marc 3, 29) ; « Mon Seigneur a déclaré illicite le péché d’insolence et le fait de parler contre Dieu » (Coran 7, 31).
Alors, Messieurs les Républicains, ceux d’entre vous qui sont laïcistes de paroles et athées en pratique, si vous faites attention aux croyances de l’autre, même apparemment irrationnelles, que risquez-vous d’y gagner sinon un retour d’attention à vos propres valeurs républicaines et une plus grande soumission à l’autorité publique ?
S’il vous plaît, ne rallumons pas les querelles du début du XXe
siècle et tâchons de faire des pas les uns vers les autres, si possible
avec respect et bienveillance. Écoutez donc le sage conseil de l’un des
vôtres et vous verrez que tout ira mieux dans les banlieues françaises :
« On n’a pas le droit de blasphémer quand on ne croit à rien ! » (Alfred Capus). (2)
(1) Auteur notamment de « La Langue de Jésus : l’araméen dans le Nouveau Testament », éditions Téqui.
(2) A. Capus, journaliste, romancier, membre de l'Académie Française, célèbre pour ses réparties savoureuses, 1858-1922.
1 commentaires:
Merci pour ce partage Olivier et cette invitation à réfléchir sur les notions de blasphème , d'accueil, de respect et de tolérance.
Il est certes question ici de religions et de blasphème à l'égard d'un Dieu, peu importe comment on le nomme, mais je crois que cette "affaire" est bien plus vaste et profonde que cela.
Il est question ici de tolérance, non plus seulement de religions, il est question aussi ici d'Humanité et de Fraternité.
Cela devrait nous concerner tous !
Dans un pays comme la France qui prône et revendique des valeurs comme la Liberté, l'Egalité et la Fraternité, l'on peut se demander ce que ces trois mots signifient pour celles et ceux qui usent et abusent des blasphèmes en tous genres.
Au nom de quoi ?
Au nom de qui ?
Qu'est-ce qui motive et justifie que l'on puisse blasphémer ainsi ?
La Liberté ? L'Egalité ? La Fraternité ?
La République ???
Je crois que La République sert parfois à cacher des choses, des pensées et des agissements que l'on refuse de voir en face et de reconnaître peut-être aussi, parfois, tout simplement comme des erreurs.
Il est peut-être question ici aussi d'Humilité...
Tout le monde peut se tromper.
Et peut-être même que je me trompe aussi en écrivant cela...
Je ne sais pas, mais j'ai au moins l'humilité de reconnaître que peut-être je ne sais pas et que peut-être je peux me tromper et faire des erreurs.
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