Cela fait deux fois en six jours que je publie une lettre d'un missionnaire italien en Afrique, au Niger. Peut-être pensez-vous que cela fait beaucoup ? Qu'il faudrait un peu varier les sources ?
Réponse : j'ai constaté, grâce au petit compteur installé sur mon ordinateur, et auquel je suis seul à avoir accès, que la lettre du Père Mauro, publiée pourtant le jour du Jeudi-Saint, en la fête de la Fraternité, est de loin, et même de très loin, le billet qui a eu le moins de lecteurs depuis des semaines, sur ce blog !
Il est vrai que nous avons tellement de graves soucis en France, avec ce maudit virus... Je comprends cela ! Et comment en effet, dans un contexte aussi grave, nos valeureux médias pourraient-ils trouver, ne serait-ce qu'une petite minute aux infos télévisées, où l'on se répète souvent pourtant, pour évoquer ce qu'il en est du Covid-19 en Afrique, comment les migrants risquent d'en être victimes, etc...
Pardonnez-moi, mais ce "coup de gueule", peut-être maladroit, est celui d'un ancien missionnaire en Afrique pendant 9 années.
Ceci dit, chacun est bien libre de lire ce qu'il veut sur ce blog, évidemment !
Et je ne peux que vous en remercier.
Mais je ne voudrais pas qu'en France, nous nous renfermions sur nous-mêmes, contaminés par un virus anti-fraternité !
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Niamey, lundi de Pâques 13 avril 2020
Il y a couronne et
Corona. La couronne d’épines est d’actualité, ces jours-ci, entre églises,
cathédrales, mosquées et lieux de culte désertés. Même le masque qui cache et
protège symboliquement de l’épidémie est, à sa manière, une couronne, une
couronne de tissus ou d’autre matériel adapté à l’usage. Puis on trouve la
couronne des nouvelles qui continue sans interruption et en temps réel,
informant sur la propagation ou la guérison du virus. Aussi dans ce cas nous
avons un Centre et une Périphérie qui affirment se trouver dans un même bateau.
Il s’agit, bien entendu, d’une fiction car, par exemple, les bateaux et les
Zodiacs des réfugiés et des migrants qui fuient la Libye ou d’autre pays, n’ont
pas le droit de débarquer sur les côtes européennes.
Il y a bateau et bateau
parce que il y a monde et monde et donc couronne et Corona. Celle royale doit
aller d’office aux soignants car ils ont donné leur vie pour que d’autres la
retrouvent après la guérison. C’est la seule couronne qui mérite ce nom car
elle est dorée d’éternité, nom provisoire confié à ceux qui ont vécu leur vie
en plénitude. Puis on trouve la couronne de la mort qui entoure, comme jamais,
les sociétés qui d’elle, la mort, avaient décrété une complice élimination
culturelle. Les cimetières transformés en jardins écologiques pour des visites
guidées, à condition de bannir tout possible signe de l’espérance dans un
au-delà qui conteste la censure opérée sur les limites de l’existence humaine.
Une croix peut-être, ou tout autre allusion à la caducité de la vie qui, quand
oublie sa fragilité, devient une simple marchandise pour le marché.
Notre Afrique tient,
comme toujours par hasard, par vertu ou par distraction. On avait préconisé, à
cause de la pandémie, des millions des morts. Une couronne infinie de décès
vues les carences des structures de la santé en temps normaux. C’était oublier
d’autres facteurs qui opèrent avec le mystère et l’imprévisibilité du
cheminement du virus en question. Une certaine résistance due au jeune âge de
la population, la prise pendant longtemps des médicaments contre le palu et la
tuberculose, moins de pollution dans l’air et, plus en général la ‘coutume’ aux
épidémies. Chez nous la vie et la mort marchent ensemble parce que entre les
deux mondes, le visible et l’invisible des ancêtres, il y a juste une petite
couronne qui les sépare, comme une passerelle qu’on ne confine jamais.
Nos
couronnes à nous, ce sont les enfants, nombreux comme les étoiles, qui continuent de
circuler, jouer et, certains d’entre eux, à mendier, sur les routes
poussiéreuses de Niamey. Quelqu’un, aux carrefours et avec la complicité des
feux optiques complaisants, imposent aux chauffeurs le nettoyage des vitres des véhicules,
proposent des inutiles mouchoirs de papier, exhibent des laisses pour chiens et
vendent des masques ‘Corona’, verts pour les hommes et noirs pour les dames. Chez
nous ici, la couronne est faite de poussière qui, naïvement, ne respecte pas
les distances sociales et entoure et séduit, comme elle connait par cœur,
choses, personnes, projets et couvre-feu citoyen de 19 h à 6 H du matin.
Avec la chaleur de
saison, selon une forte tradition locale, on a intensifié les coupures
d’électricité en ville. En brousse le problème ne se pose pas car la lune, avec
sa proverbiale couronne, assure l’entretien du système de livraison du courant.
Pour ceux qui ont de l’eau à la maison, une minorité jusqu’à présent, résonnent
les mesures barrière au virus, entre autres, se laver
souvent les mains, surtout en rentrant à la maison. Dans les taxis et sur les
motos on a drastiquement réduit le nombre des passagers afin de garder les
distances. Certains membres des ONG, véritables couronnes humanitaires, se font photographier
pendant qu’ils collent des affiches aux rond-points qui rappellent aux citoyens
leurs devoirs de protection.
La couronne de gloire est en voie de finition
auprès des citoyens qui encore résistent à la ‘ coronisation’ du temps, de
l’espace et du futur. C’est à eux, inventeurs de paysages humains inédits, que
revient de droit la couronne qui, comme un migrant, continue de passer des
frontières et confie au vent son destin. Sont ceux qui laissent entrevoir les
rives d’une utopie qui ne ressemble plus à une ile mais plutôt à une couronne
de sable. Ils ont appris à habiter l’incertitude et ils gardent soigneusement
la fragile vulnérabilité des paroles pas encore éditées. Leur dernière couronne
est celle de la lumière, dont ils s’habillent le matin du premier jour de la
semaine.
Père
Mauro Armanino
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Ajout du mercredi 15 avril au matin :
Un missionnaire italien ci-dessus, et maintenant un ministre italien !
Voici quelques extraits de la chronique très interpellante d'un ancien vice-ministre italien des Affaires Etrangères, Mario Giro, dans le "Ouest-France" de ce mercredi 15 avril, en bas de page N07 :
"Au temps du triomphe de la société de "l'entre-soi", un défaut d'amitié au sens politique se manifeste au grand jour : un manque de pathos commun qui nous fasse sentir tous "dans un même bateau". Soyons en certains : l'égoïsme est stupide. (...) (Nous sommes) mis devant le défi politique d'aller "outre-soi", en renonçant à quelque chose en faveur d'un projet plus large (...), à un peu de richesse en faveur de la redistribution (...). "
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