Aujourd'hui encore, c'est une lectrice habituée du blog de l'Arche de Noé qui signe ce billet.
Jennifer est une paroissienne fidèle du doyenné de Talmont.
Artiste, musicienne, Jennifer est d'origine britannique, et tout cela donne un cachet particulièrement enrichissant à son témoignage.
Elle nous fait part de la façon dont elle a vécu ce temps de Carême "hors norme".
Et nous, pourquoi ne pas réagir, et partager en commentaire comment, nous aussi, nous avons vécu ce temps de Carême inédit ?
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Ce fut la pensée d’une Pâque sans Eucharistie qui me plongea
dans une espèce de deuil. Ma dernière Eucharistie fut le jeudi 12 Mars, cinq
jours avant le début du confinement, il y a déjà quatre semaines. Or c’est précisément ce qui se passe sur
un autel catholique qui me fit adhérer à l’Église il y a maintenant 51 ans;
donc quelque chose qui me manque particulièrement ces jours-ci ! C’est comme si
mes racines n’avaient plus de terreau.
Simultanément un grand silence se fit partout, et ceci tout
de suite et mondial ; pour
la première fois de ma vie je sens le monde entier tout proche, dans son
silence, dans cette solidarité insolite ; coronavirus est le mot qui
domine dans tous nos esprits, qui bourdonne dans toutes nos oreilles. En même
temps vint Carême, et ce silence, ce confinement fut comme une
retraite imposée ; un désert prolongé partout,
dans le temps et dans l’espace, sans limite apparemment (comme hors du temps - est-ce là une intimation de l’éternité ?)
Et petit à petit je
commençai à sentir, comme une basse continue, le don du Père, la bénédiction
qu’Il nous fait ; à commencer par le climat sublime, ces jours d’une douceur de
caresse maternelle, de consolation, j’entendais presque la voix de Dieu: Tout va bien, tout ira bien, Je suis là, Je
t’aime, laisse-toi aller dans Mes bras... Et en même temps j’eus la chance de
découvrir, sur internet, tant d’initiatives (presque trop !) pour nous
aider dans ce ‘désert’, dans cette solitude, dans ce manque de nos amis, de
notre communauté ecclésiale : méditations, messes en direct surtout.
J’ai choisi
une messe qui vient de Californie, et qui est célébrée au milieu du jour, heure
parfaite pour moi ; cela devint le point central de ma journée. Bougie, reliques déposées sur la base de l’iPad, autour de
mon cou un rosaire qui me fut offert il y a des décennies par un ami qui y
avait attaché des médailles de tous ses saints préférés, et auquel j’ai ajouté
au fil des années tous mes amis célestes ; c’est comme si j’avais toute la
Communion des Saints avec moi ! Ce rituel
semblait servir à me compenser du virtuel ;
ces objets, ces rites (je m’agenouillais et me mettais debout aux moments
convenus), faisaient de ces messes filmées une réalité plus concrète. A l'Offertoire, toute ma vie, toute ma famille,
tout le coronavirus, tout et tout et tout ; jamais je n’ai été
si concentrée en participant à une messe, si ‘offerte’. C’est ce manque, ce
jeûne, ce silence, et en même temps cette Présence douce et mystérieuse qui
fait cela. La prière pour la Communion Spirituelle, projetée sur l’écran, me
plonge dans une profondeur indescriptible (et assez inédite !). Et cela continue, puisque ces précieuses transmissions continuent.
Jamais je
n’ai passé un Carême pareil. Je vis dans une permanente action de grâces,
malgré les nouvelles, malgré tout ce qui se passe autour.
Satan pensait qu’il gagnait une bataille en nous enlevant la
Messe, et ben non ! Encore une fois
vaincu, et justement par cette technologie qui est une de ses armes !
Et la solidarité mondiale, aussi : les contacts par
téléphone, par mail, surtout l’approfondissement de beaucoup d’amitiés, le
désir de renouer avec beaucoup de vieux amis, non contactés depuis trop
longtemps. C’est vraiment un filet de rayons chauds qui se tisse autour de
notre monde, je le vois presque ! Je le sens certainement !
Loin de moi d'accuser Dieu d'avoir causé cette
pandémie ! Mais comme si souvent lors d'un séisme, d'un fléau ou d'un cataclysme, il nous donne cette opportunité, un peu soudaine, très étonnante,
interpellante, de regarder la vie, notre vie, notre civilisation, notre monde,
avec Ses yeux, si j’ose dire ; de faire le ‘tri’ (au plan matériel cela se
traduit dans un grand désir, chez beaucoup, j’ai remarqué, de faire des
rangements énergiques dans la maison, des papiers, des
greniers ! Cela coïncide d’ailleurs avec ce que les britanniques appellent le Spring
Cleaning, les grands nettoyages du printemps !) Un profond examen aussi de ce qui compte
vraiment, de ce qui est vraiment important dans notre vie. N’est-ce pas cela
une des façons de ‘faire’ Carême? Au
fond, c’est pour nous replonger dans l’amour de Dieu, de pouvoir redire
avec Charles de Foucauld : « Mon Père, je m’abandonne à Toi, fais de moi
ce qu’il Te plaira; j’ai confiance en Toi ! » Et de le dire 'toujours et en tout lieu.'
Malgré la grande richesse que je vis ces
jours-ci, et sans aucun doute grâce à elle, mon cœur est toujours habité par
les malades, les mourants, les soignants, les infirmières, les médecins, et je
sais que là où ils se trouvent, le Christ aussi se trouve. Ubi caritas et
amor Deus ibi est. Je fais aussi un deuil pour trois amis très chers
décédés pendant ce carême, non pas du Covid, mais de grand âge. Le premier m’a
donné mes premières plantes pour mon jardin, il y est donc présent
toujours ; le deuxième me donna la joie du chant grégorien ; avec le
troisième je partageais le goût des belles choses de toutes sortes ; ils
m’ont laissé les plus importants héritages, ceux qui donnent la vie, des
constantes résurrections !
Le Triduum en présence de notre Pape, ou encore de notre Evêque, bonheur de partager, même à distance, les cérémonies devenues intimes et proches, les caméras permettant de tout voir de près, ce qui n'est pas toujours le cas dans une immense cathédrale pleine à craquer !
Cette Pâque, mes Alléluias seront de ceux composés dans un mode
mineur, qui ne perdent pour autant rien de leur joie, mais qui, contrairement aux Alléluias plus ensoleillés, ont une couleur plus profonde, semblant garder des résonances de Gethsémani…
Je conclus avec les belles paroles du Saint Père avant sa bénédiction Urbi et Orbi, ce dimanche de Pâques : "Contagione della Speranza...!" Oui, l'espérance est contagieuse, elle aussi !
Le chant d'entrée de la Messe du jour de Pâques, dans le 4e mode, a comme un refrain d'un Alléluia qui illustre magnifiquement ce que j'ai essayé de dire plus haut ! La liturgie elle-même, dans son ancienne sagesse et génie, présente encore des échos de la souffrance de la Croix, au bon milieu de la plus grande jubilation de l'année...
Du Psaume 138 : Je suis ressuscité, et je suis toujours avec toi, alléluia ; tu as posé ta main sur moi, alléluia ; ta sagesse s'est montrée admirable, alléluia. Seigneur, tu me scrutes et tu me connais ; tu connais mon repos et ma résurrection.
Voici un lien pour écouter cet Introït chanté par les moines de Ligugé :
https://www.youtube.com/watch?v=cJvPQpMsZ5E&feature=share
2 commentaires:
Quel beau témoignage !!! Merci à vous Jennifer ! Non, nous n'oublierons pas cette Semaine sainte 2020 avec nos manques bien sûr ! Mais aussi pour ces amitiés renouées, ce foisonnement de propositions offertes, ce retour sur nous-mêmes...et tous les témoignages de solidarité, d'humanité !
Merci Jennifer pour ce beau billet, riche de ce que vous avez perçu ou vécu durant ce temps de carême.
" L'espérance est contagieuse." a dit le Pape François. Je crois en avoir fait l'expérience au travers de gestes, de coups de fils, de messages échangés, de prières partagées etc .Tous dans le désir de nous aider les uns les autres.
"J'ai soif" dit Jésus sur la croix. Sommes-nous ou serons-nous habités par cette soif dans la prolongation du confinement ? Mère Térésa répondra à la soif du Christ en donnant à boire aux pauvres.
" J'avais soif et vous m'avez donné à boire." dit Jésus
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