Voici un édito du journal
« La Vie » :
Les créations de
cardinaux par le pape François, annoncées pour le 27 août 2022, sont
un événement : ils établissent un nouveau centre de gravité de l’Église.
Le Français Jean-Marc Aveline, lié par son histoire personnelle et
son mandat à la Méditerranée, en est un symbole. Aymeric Christensen, directeur de la
rédaction de "La Vie".
L’équilibre, on le sait, n’est pas affaire de forme mais de centre de gravité. Ainsi, l’Église catholique telle qu’elle apparaît aux yeux du grand public – et parfois de ses fidèles occidentaux – n’est pas tout à fait celle qui vibre autour du monde ni celle qui se recompose depuis Rome sous l’impulsion du pape François. Le consistoire annoncé dimanche 29 mai 2022 en est encore une traduction nette, particulièrement en France avec le choix de Jean-Marc Aveline.
Un cardinal français, enfin ! Attendue depuis plusieurs années dans un pays qui n’en comptait plus aucun « en poste » à la tête d’un diocèse, cette nomination illustre aussi la « méthode François ». Parce qu’elle a semblé tarder, elle rappelle que le centre de gravité du catholicisme s’est déplacé ces dernières décennies du Vieux Continent vers les pays du Sud, notamment l’Asie.
Le christianisme populaire n’est pas mort
Et parce qu’elle survient loin des sièges cardinalices a priori plus évidents que seraient Paris ou Lyon, elle opère un second décentrage, à l’intérieur même de l'Église de France. On aurait tort, pour autant, de n’y voir qu’un choix symbolique. Conférer un tel rôle à l’archevêque de Marseille relève autant d’une proximité entre les deux hommes que d’un message.
Ce message de François est, au fond, simple : le christianisme populaire n’est pas mort. Populaire en quel sens ? D’abord au sens des classes populaires, ces « périphéries existentielles » qu’il est urgent de rejoindre, comme un antidote à l’embourgeoisement qui s’est installé dans de nombreuses paroisses.
Ce resserrement, quand il va de pair avec une droitisation des fidèles, fait courir à l’Église le péril de perdre son universalité et sa fraternité. Mais populaire également par la piété du même nom – à Marseille, elle est par exemple mariale –, qu’un certain élitisme intellectuel ou spirituel a parfois regardée de haut, jugée trop démonstrative ou superstitieuse. Ici comme ailleurs, le pape a une préférence marquée pour les évêques sachant écouter les gens, se tenir au plus près des réalités pastorales « d’en bas ».
Ainsi de l’Indien Anthony Poola, premier dalit (« intouchable ») à devenir cardinal, du Nigérian Peter Okpaleke, rejeté de son diocèse pour des raisons tribales, de l’Italien Giorgio Marengo, missionnaire depuis 20 ans en Mongolie, de l’États-Unien Robert McElroy, voix sociale appelée à peser davantage dans son pays…
Dialogue et rencontre
En France, avec Jean-Marc Aveline, c’est donc le choix d’un homme, d’une vision pastorale fondée autant sur une simplicité personnelle que sur une certaine hauteur de vue et d’action, n’ayant peur ni du dialogue ni de la rencontre, à rebours de toute tentation populiste ; c’est aussi le choix d’une ville, la cité phocéenne, comme un rappel que nous ne sommes pas seulement tournés vers l’Europe et l’Atlantique, mais aussi vers la Méditerranée. Le nouveau cardinal est d’ailleurs né sur l’autre rive de cette Mare nostrum, en Algérie, et a mis en place un service diocésain dédié aux relations méditerranéennes.
Comme l’ensemble de l’Église, le catholicisme français est invité à déplacer son centre de gravité à la frontière de lui-même, quitte à se mettre en position de déséquilibre. Une attitude qui correspond bien à la démarche de l’actuel synode sur la synodalité, dont la phase diocésaine donnera lieu les 14 et 15 juin 2022 au vote d’une synthèse nationale envoyée au Vatican par la Conférence des évêques de France.
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