Dimanche dernier, une fidèle de ce blog, Jennifer, m'a fait part de son intérêt pour cet écrit de Shafique Keshavjee : «Le roi, le sage et le bouffon» (Le Seuil, 1998). Il s'agit d'une fable pour présenter les grandes religions. Shafique, d'origine indienne, est né au Kenya en 1955. De religion ismaélienne, il s'est converti au protestantisme et est devenu pasteur de l'Eglise réformée.
Suite à d’étranges rêves, le roi d’un pays convoque un grand tournoi des religions. Les concurrents sont des athlètes de haut niveau. Juif, musulman, chrétien, bouddhiste, hindou, athée, chacun va communiquer le meilleur de lui-même pour convaincre le roi d’adopter sa croyance.
«Le roi, le sage et le bouffon» est une fable qui explore le coeur des grandes religions de l’humanité. Roman plein d’humour et d’émotion, c’est aussi un appel au respect des croyances de chacun, au-delà de l’indifférence et du fanatisme. L’auteur, Shafique Keshavjee, est pasteur de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud. Docteur en sciences des religions, il anime l’Arzillier, une maison pour le dialogue entre les religions à Lausanne. Il répond à une interview du Service de presse protestant.
Pourquoi présenter le dialogue entre religions sous la forme d’un tournoi?
S. Keshavjee: L’idée de tournoi s’inscrit bien dans une société comme la nôtre qui vit un phénomène de mondialisation et donc de compétition. Les traditions religieuses n’échappent pas à ce phénomène. Beaucoup de personnes choisissent leur religion comme ils font leurs courses dans un supermarché. D’autre part, la dimension agressive et conflictuelle est présente de tous temps dans les religions. On ne peut pas faire comme si cela n’existait pas.
Dans votre livre, vous présentez cinq traditions religieuses et l’athéisme. C’est un pari impossible en moins de 300 pages. Sur quoi avez-vous mis l’accent?
S. Keshavjee: C’était important pour moi d’aller vers l’essentiel de l’expérience. Je n’ai ainsi pas insisté sur les rites pour me concentrer sur l’intuition fondamentale de chaque religion. Prenons l’exemple du Bouddhisme. Il connaît une très grande diversité. Mon travail a été de rechercher le moteur, l’intuition fondamentale qui a donné un élan aussi fantastique à cette religion. J’ai ainsi fini par choisir deux termes pour présenter cette tradition: détachement parce que c’est le mouvement essentiel du bouddhiste qui a compris que la souffrance naît de notre attachement à un monde qui n’a en fait pas de consistance. Et compassion qui pousse ce même croyant à enseigner la voie de la délivrance à tous les êtres. Voilà pour le Bouddhisme. Mais ce travail d’élagage, je l’ai accompli pour toutes les traditions religieuses présentées dans ce livre.
Et concrètement, comment avez-vous fait?
S. Keshavjee: «Le roi, le sage et le bouffon» est le résultat de 20 ans de lectures, de voyages et surtout de rencontres. A force de voir des gens parler de leur religion et d’en vivre, à force de comparer et d’essayer de comprendre les divergences et les points communs, j’ai réalisé une sorte de synthèse provisoire.
Avez-vous soumis cette «synthèse» à des représentants de ces diverses religions ?
S. Keshavjee: Oui. J’ai présenté la première version de mon livre à des spécialistes des religions, ainsi qu’à des
croyants. Certains d’entre eux m’ont dit: «C’est intéressant, mais un musulman
ne ferait pas cela comme ça». J’ai donc retravaillé mon texte en fonction de ces
remarques. Notez que je ne cherche pas non plus l’adhésion de tous. Ce qui me
semble important, c’est que cet appel à comprendre l’autre de l’intérieur soit
entendu et que, par exemple, un musulman se pose la question :"qu’est-ce qu’un
chrétien, par exemple, vit dans sa propre tradition?"
Appel à la tolérance donc, mais en même temps vous faites débattre ces traditions religieuses. Vous n’en restez donc pas à une présentation polie…
S. Keshavjee: Le dialogue interreligieux n’est pas une discussion courtoise de salon. Et si le respect est essentiel, il faut aussi parler des problèmes d’hier et d’aujourd’hui. N’oublions pas que l’histoire des religions est tachée de sang. Aujourd’hui encore, il y a des injustices, de la violence, du prosélytisme. Occulter cela, c’est aussi favoriser les intégrismes de tous bords. D’autre part, pour vivre la convivialité, il faut se rapprocher mais aussi marquer les différences et les identités. Je me rappelle qu’un musulman m’a dit un jour: «Je connais mieux le christianisme que toi». C’est inadmissible pour un chrétien. De même quand un hindou dit «de toute façon, nous allons vers le même centre», il m’interdit de dire ma spécificité de chrétien. Ce relativisme – si présent dans notre société qui confond respect et indifférenciation – est tout aussi dangereux que le fanatisme, car il crée des réflexes de peurs et de replis.
Vous vous attendez à des réactions négatives?
S. Keshavjee: Elles peuvent venir de deux côtés. De la part de chrétiens qui voient dans mon travail une apologie du relativisme, ce que j’essaie justement d’éviter en faisant débattre les différentes traditions religieuses. Il est possible aussi que des musulmans m’interpellent. Mon personnage du cheikh Ali ben Ahmed n’est peut-être pas suffisamment orthodoxe. Il essaye au contraire d’exprimer la pluralité de l’islam, et notamment le soufisme, la mystique musulmane, qui est extrêmement contestée par les mouvements radicaux.
Pourquoi avoir «mis en scène» un athée?
S. Keshavjee: C’est un personnage très important. L’athée n’idéalise pas les religions. Il stimule les croyants parce qu’il leur pose de bonnes questions, et notamment la question du Mal. Les traditions religieuses quelles qu’elles soient risquent de s’enfermer dans leur option de base. L’athée rappelle la complexité du monde et la fragilité de l’homme, capable du meilleur comme du pire. Cela dit, mon athée se fait passablement secouer dans ce livre. C’est peut-être mon personnage le plus faible.
Vous êtes pasteur dans l’Eglise réformée. Est-ce le rôle d’un ministre de présenter avec autant d’empathie les autres religions?
S. Keshavjee: Mon rôle n’est pas d’abord de faire l’apologie des autres traditions. Elles le font suffisamment elles-mêmes. Cela dit, notre société a tendance à idéaliser ou à diaboliser l’autre. Le bouddhisme a la cote aujourd’hui alors qu’on se méfie beaucoup de l’islam. Ces attitudes ne sont pas correctes et ne correspondent pas à des relations humaines telles que l’Evangile nous appelle à les vivre. Dans ce livre, j’essaie de montrer les perles de chacune des traditions, car il vaut la peine de les connaître. Mais d’autre part, c’est aussi l’occasion pour moi de montrer les tensions entre elles. En ce sens, ce livre est un effort pour aller vers la réalité des choses.
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© Centre catholique des médias Cath-Info, 19.04.2001
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https://www.cath.ch/newsf/le-roi-le-sage-et-le-bouffon-une-fable-pour-presenter-les-grandes-religions/
2 commentaires:
Merci pour ce beau partage très riche. Je salue l'entreprise de S. Keshavjee. Quel travail ! Le livre doit vraiment être très intéressant. Je pense qu'il y a tant de points communs entre les grandes Religions qui parlent toutes et portent Haut des mêmes valeurs. Je n'avais pas pris le temps de lire ce post, et je m'en excuse car il est très riche. Merci bien sûr à Jennifer pour ce partage !
Les dialogues interreligieux ont tellement de sens et sont tellement importants ! C'est en allant rencontrer l'autre que l'on peut s'enrichir de ce qu'il a de bon ou de meilleur à offrir ; et c'est aussi en allant à sa rencontre que l'on peut offrir le meilleur de ce que l'on porte et de ce que l'on est, nos meilleurs fruits ! Des fruits qui sont et restent toujours à partager ! Ne dit-on pas que quand il y a à manger pour 2 ou pour 3, il y en a bien pour 4 ?! N'ayons pas peur de nour enrichir de la richesse des autres et de leur offrir en retour ce que nous avons de plus cher. Si ce qui est important et cher à nos yeux c'est notre Foi, quelle qu'elle soit, alors parlons-en, discutons-en, échangeons avec quiconque est ouvert à partager et à la recevoir en partage !
Merci à Jennifer de nous faire part de ce très intéressant livre .
Retrouver les valeurs de toutes les religions .
Ce qu'on appelle les merveilles que Dieu nous donnent . Rechercher dans nos vies .
Merci Élodie d'expliquer que les dialogues interreligieux c'est tellement importants . C'est en allant vers l'autre que l 'on peut s'enrichir .
Merci encore Élodie du commentaire
qui est très enrichissant , et qui donne de la joie au cœur .💕
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