Le Blog de l'Arche de Noé 85, n° 2503 : Vu du Mali, le "pays des lumières" au défi de la Lumière de l'Evangile

En ces temps où les idéaux de liberté, égalité et fraternité sont sur toutes les lèvres, et où la France, en toute modestie, s'auto-proclame sans fausse honte "le pays des lumières", je n'oublie pas comment cette arrogance était perçue par mes amis Maliens, durant les neuf années que j'ai vécues à leurs côtés. J'aborde aujourd'hui la question de la liberté ; demain, je poursuivrai avec l'égalité et la fraternité.

 Liberté

J'avais cru que, parmi les idéaux de la Révolution française, le plus beau fleuron était la liberté. Mais une fois arrivé au Mali, et après avoir longuement écouté les gens de ce pays,  il n'est plus une journée où je ne me suis pas demandé ce que nos ancêtres étaient allés faire dans cette région de l'Afrique !  Assez vite en effet, des Maliens m'ont expliqué ce qui s'était passé.  Dans la dernière partie du XIX° siècle, des colonnes expéditionnaires françaises ont envahi la région, dans le but de s'approprier un vaste territoire  -  dont faisait partie le Soudan, à l'indépendance devenu le Mali  -  qui ne leur avait rien demandé. Impossible ici de résumer l'histoire de cette conquête coloniale, ni de décrire les dérapages et exactions, restés d'ailleurs soigneusement cachés à l'opinion publique en France et absents de nos livres d'histoire. Presque toute l'Afrique de l'Ouest se trouvait alors sous la domination d'empires ou de régimes islamistes. S'en suivirent quatorze années d'une guerre sans merci, de 1880 à 1894, jusqu'à la prise de Tombouctou, ville emblématique de l'islam dans la région.  Et maintenant, l'histoire bégaye, et des soldats français se trouvent encore en lutte contre des islamistes au même endroit... Il faudrait être aveugle pour ne pas comprendre les liens historiques entre tous ces combats ! Dont l'actuel paraît également sans fin... De cette conquête par l'envahisseur français au XIX° siècle, je donne seulement deux échos révélateurs parmi tant d'autres, tirés des écrits de chefs militaires. :

 "Le massacre de tout l’élément mâle, [constitue] l’usage au Soudan depuis longtemps pour terminer les prises d’assaut, usage inauguré par les officiers supérieurs de l’artillerie de la marine dont cette colonie est le fief ^."

 ^"Je me résolus à me prolonger le long du fleuve en incendiant devant nous les cases des villages […] j’allai examiner la situation et très heureux du résultat obtenu […], je fis continuer l’incendie des cases."

Envahie par la France, détruite dans ses structures politiques, sociales et autres ainsi que dans ses traditions centenaires, cette région fut privée de liberté, dominée, exploitée pendant au moins 80 ans, du début de la conquête en 1880 jusqu'à l'indépendance en 1960. A travers cette privation de liberté, les nations colonisatrices ont cassé les reins de l'Afrique. Quant à la soit-disant "mission civilisatrice" tant mise en avant par les envahisseurs, comme apprentissage de la liberté, il faudra repasser ! Avec au Mali 5% seulement d'alphabétisés au moment de l'indépendance. Une drôle de façon de prétendre transmettre "nos lumières" à des peuples qui soit-disant n'avaient aucune culture !  La France avait bien mal préparé sa sortie, à reculons... Plaignons-nous à présent de ce que l'Afrique, pensons-nous de façon un peu condescendante, ne sache pas bien prendre ses responsabilités : plusieurs générations, privées de liberté, n'ayant aucunement le droit de se gérer par elles-mêmes, réduites à obéir sous peine de sanctions, se sont trouvées infantilisées et déstructurées.    

Le pire, c'est que les envahisseurs français se sont perçus comme supérieurs à ces Africains noirs, auxquels ils avaient volé leur pays et dont ils ont fait ensuite leurs obligés et leurs serviteurs, de condition inférieure. Et cette mentalité est toujours présente en France. Par exemple, des amis Maliens, musulmans, d'un islam très ouvert, m'ont dit leur désolation devant les caricatures ineptes récentes : "C'est un reste d'une attitude colonialiste, qui se croit supérieure et plus intelligente, mais qui n'a rien compris à notre culture ni à notre conception du respect de l'opinion de l'autre." 

Deux questions pour terminer :

1  -  Pourquoi alors la République n'a-t-elle pas écouté des politiques de premier plan, comme Clémenceau, hostiles à la colonisation, ainsi que le montre cette citation de 1885 en réponse à Jules Ferry, alors chef du gouvernement et fervent partisan de la poursuite de l'invasion  coloniale : « N’essayons pas de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation. Ne parlons pas de droit, de devoir. La conquête que vous préconisez, c’est l’abus pur et simple de la force que donne la civilisation scientifique sur les civilisations rudimentaires, pour s’approprier l’homme, le torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit du prétendu civilisateur. Ce n’est pas le droit, c’en est la négation. Parler à ce propos de civilisation, c’est joindre à la violence, l’hypocrisie. »

2 -  Un Juif m'a demandé un jour, lors d'un échange à la synagogue des Sables d'Olonne, si les Allemands baptisés qui ont soutenu Hitler avaient entendu parler de l'évangile des Béatitudes. Même question pour ceux qui sont venus priver les Africains de leur liberté.  Allo Voltaire, en France, il faut rallumer les lumières !  Mais surtout, passer de nos petites lumière à la vraie Lumière, celle du Sauveur qui, elle, jamais ne nous trompera ni ne s'éteindra !

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Suite demain de ce chapitre sur "la France face à ses contradictions", autour de l'égalité,  puis mercredi, de la fraternité.