"Cette idéologie du fanatisme fait beaucoup de mal. (...) Peut-être faudrait-il que davantage encore de musulmans, dans notre pays et ailleurs, puissent le dire fermement." Je suis très triste de voir une telle affirmation, surtout dans la bouche du président de la Conférence des évêques de France, Eric de Moulins-Beaufort, dans le journal "La Croix" du 2 novembre. Mais, bon sang, qu'attend-il pour donner la parole aux musulmans de bonne volonté ? Il avait une occasion unique, cette semaine, pendant laquelle se tient l'Assemblée plénière des évêques de France, en visioconférence, du 3 au 8 novembre : on imagine l'impact qu'aurait pu avoir sur l'opinion le fait que tous les évêques de notre pays accueillent et écoutent un groupe de musulmans (imams, laïcs, théologiens, éducateurs, sociologues, dont des femmes...). Merci aux médias, dont "Nice-Matin", puis le journal "La Vie", qui eux, ont su prendre une telle initiative !
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"Aujourd'hui, je suis chrétien !" a déclaré un imam de Nice au quotidien "Nice-Matin"
Au lendemain de l'attentat perpétré à la basilique Notre-Dame de l'Assomption, le recteur de la mosquée ar-Rahma (La Miséricorde), la plus grande mosquée de Nice, Otmane Aïssaoui, président de l'Union des musulmans des Alpes Maritimes, principale organisation musulmane du département, a répondu aux questions du journal "La Vie".
Pourquoi avez-vous tenu à dire « Je suis chrétien » après l’attentat du 29 octobre ?
Ce qui s’est passé jeudi dernier est inacceptable. Comme porteurs de
foi, nous prêchons la vie, et non la mort. Quand j’ai appris la
nouvelle, je n’en ai pas cru mes oreilles. Puis, lorsque l’identité du
terroriste a été donnée, je me suis exclamé : « Dieu merci, il n’est pas de Nice !
» En ce Jeudi noir, je me suis alors senti vraiment frère de foi des
chrétiens. Ces trois personnes sont mortes alors qu’elles priaient Dieu !
Je suis sûr que leurs âmes sont montées vers le Seigneur. Il fallait
oublier sur le moment toutes les différences de foi et de doctrine. J’ai
donc eu cette parole, comme croyant et comme imam, pour offrir aux
chrétiens ce sentiment de foi. En tant que musulman, adorateur du Dieu
unique, je suis déjà un partisan de Jésus !
Les chrétiens confessent que Jésus-Christ est le Fils de Dieu. Qui est Jésus pour vous ?
Pour nous, Jésus est un noble des nobles prophètes ! Il est un miracle par sa création (l’islam professe la conception virginale de Jésus, mais pas sa divinité, n.d.l.r),
et par son message de paix et de compassion. Nous vénérons également sa
mère, la sainte Marie. A mon niveau de spiritualité, je me considère
comme apôtre de Jésus. Nous l’aimons, et Marie aussi ! Or, celui qui ne
croit pas en Jésus, et qui rejettent ceux qui y croient se met hors de
l’islam. Nous lisons dans la sourate Al-Baqarah, dite « La Vache » du
Coran, au verset 285 : « Le Messager a cru en ce qu’on a fait
descendre vers lui venant de son Seigneur, et aussi les croyants tous
ont cru en Allah, en Ses anges, en Ses livres et en Ses messagers; (en
disant): “Nous ne faisons aucune distinction entre Ses messagers”. »
Les musulmans ne doivent donc pas dissocier les prophètes annonciateurs
d’Allah. L’attaque d’une église et le meurtre de chrétiens, c’est un
blasphème contre Jésus et Marie, et contre Dieu ! Seul Dieu a le droit
de prendre la vie. Qui es-tu, pour prendre la vie d’un autre ?
Comment manifestez-vous votre solidarité avec les chrétiens de Nice ?
L’autre soir, j’ai pu prier devant la basilique avec Gil Florini, un prêtre très connu à Nice. Depuis des années, nous travaillons avec les Juifs et les chrétiens, au sein d’Alpes-Maritimes Fraternité, une instance municipale crée en 2007 qui regroupe les cultes présents dans la ville de Nice et dans le département. Nous sommes en train de préparer un hommage commun avec l’évêque, André Marceau, et avec les Juifs. J’espère que cela se fera en début de semaine prochaine, car il faut faire bloc ! Il faut rendre au mal par le bien. Le sang qui a coulé à la basilique ne doit pas être vain. Je le dis : c’est un pacte de sang qui me lie avec la basilique. J’attends à présent que les intellectuels de France se lèvent pour nous aider à déconstruire toute forme de haine : où sont les Molière, les Victor Hugo ? Nous ne pouvons répondre à la haine que par la force de l’union.
Quels sont vos sentiments au sujet des caricatures de Mahomet ?
Depuis le premier jour, lorsque ces dessins ont été publiés par les Danois, je pense qu'on ne peut que respecter les caricatures, dans le sens de la liberté d'expression et de l'ouverture d'esprit. Mais je pense que l'approche du président Jacques Chirac, à l'époque, était juste : la liberté d'expression doit respecter l'intime conviction des personnes, pour ne pas heurter et construire la fraternité. Il y a une limite à tout. Honnêtement, est-ce qu'il y a un seul de ces dessins qui valait la vie de Samuel Paty ? Non. Le dessinateur devrait se poser des questions... Si je devais résumer, je dirais oui à la caricature, mais non au blasphème !
Quelle différence faites-vous entre caricature et blasphème ?
Le blasphème, c'est se moquer de tout ce qui touche à la croyance profonde. De Dieu, de Mahomet, de Jésus, de Noé même... Mais dessiner avec humour des barbus, des voilées, des porteurs de croix et de kippas, cela ne me gêne pas.
Le sang qui a coulé à la basilique ne doit pas être vain.
Ce soir, Emmanuel Macron s'est exprimé sur la chaîne qatarie Al-Jazeera, pour répondre à la colère antifrançaise qui s'exprime dans les pays musulmans au sujet des caricatures. Que pensez-vous de cette situation ?
J'apprécie sa manière de faire: il s'est adressé aux peuples arabes, sans passer par leurs gouvernements, tout en restant ferme sur ses principes. Je suis d'origine algérienne, mais mon pays, aujourd'hui, c'est la France. Les Marocains, Algériens et Tunisiens aiment la France : si la frontière s'ouvrait, ils viendraient tous ici ! Ils ne vont pas lui faire la guerre pour ces histoires de caricatures. Les pays arabes sont trop dans les sentiments, il faut garder son sang-froid. Il faudra du temps et des actes pour que les choses s'apaisent. Nous sommes ensemble dans le même bateau, il ne faut pas revivre les guerres de religion.
Les auteurs des attentats se réclament de l’islam. Comment contester leur discours sur le plan théologique ?
Pour moi, à partir du moment où des individus commettent ces actes, ils n’ont aucun lien avec aucune religion. C’est pareil pour le catholique qui a assassiné des musulmans en prière dans une mosquée, en Nouvelle-Zélande (*). L’islam n’a jamais appelé à tuer qui que ce soit. Quand le calife Omar ibn al-Khattâb a conquis Jérusalem, en 637, il a refusé l’invitation faite par les chrétiens de prier au Saint-Sépulcre, pour ne pas que l’église soit ensuite transformée en mosquée. Les musulmans doivent connaître leur histoire ! Que les choses soient claires : les 80 000 musulmans habitant les Alpes-Maritimes sont imprégnés par des valeurs de paix, et par le sentiment d’être citoyens français. Il ne faut pas qu’une brebis galeuse casse tout l’édifice.
A Nice, une centaine de jeunes ont rallié les rangs de l’État islamique ces dernières années. Quel discours tenez-vous dans la communauté musulmane pour prévenir ces départs ?
J’ai déjà dénoncé des jeunes perturbateurs qui étaient tentés de partir en Syrie. Je dis aux Français musulmans qu’ils sont Français, ils n’ont rien à voir avec la Syrie ! Comme Français, notre seule position est celle de la France. Nous n’avons pas à participer à un conflit étranger. Je rappelle aux musulmans le verset 195 de la sourate « La Vache » : « Et dépensez (vos biens) dans le chemin d’Allah (donnez-donc aux autres). Et ne vous jetez pas par vos propres mains dans le danger ! Et devenez le meilleur ! Certes Allah aime les bienfaisants. » Théologiquement, le musulman doit d’abord être utile à soi-même et à la société à laquelle il appartient. Le plus grand djihad est envers soi : réussir sa vie familiale, ses études, sa vie professionnelle, voilà le bon travail qui nous incombe !
Le conseiller municipal Philippe Vardon, chef de l’opposition du Rassemblement national, vous accuse d’être lié aux Frères musulmans, et d’avoir diffusé sur la page Facebook de votre mosquée des positions favorables à Mohamed Morsi, le président égyptien de 2012 à 2013, qui était membre des Frères musulmans. Que lui répondez-vous ?
Si Philippe Vardon veut un jour être responsable des 400 000 habitants de Nice, il devrait passer à autre chose… Il a tort de me coller cette étiquette de Frère musulman, bien que des Frères musulmans s’occupent de leurs pays et ont le droit de le faire. Chacun est dans son pays, et le sert comme il veut. Mohamed Morsi a été élu président de l’Egypte, il a été reconnu par la communauté internationale, et il a été renversé par des généraux. Sur Facebook, nous n’avons fait qu’afficher une information internationale, et nous n’avons aucun lien avec les Frères musulmans. Par ailleurs, il nous reproche de nous référer à Youssef al-Qardaoui, qui est une autorité théologique reconnue par des millions de musulmans, même s’il peut prendre des positions politiques que je n’accepte pas.
Ce qui était reproché à Mohamed Morsi était notamment la persécution de la minorité chrétienne en Egypte...
C’est de la mauvaise foi ! Depuis 14 siècles, il y a une coexistence entre musulmans et chrétiens en Egypte. Je connais mille exemples de couples mixtes. Ce n’est pas parce qu’il y a des attentats qu’on doit généraliser. En ce qui me concerne, ma rencontre avec le pape François, lors de l’audience pour les victimes de l’attentat de Nice et leurs familles, le 24 septembre 2016, a été un des plus beaux jours de ma vie. C’était un moment fort ! Je le répète : je suis avec les chrétiens, corps et âme. Cela me coûte parfois, je dois m’en expliquer auprès de certains musulmans. J’ai 50 ans, quatre enfants, je suis sur la dernière pente avant la rencontre avec notre Seigneur, ce n’est pas maintenant que je vais changer. Lorsque les chrétiens ont été chassés d’Irak par Daech, j’ai pris position. Je défendrais bec et ongles le fait que les chrétiens dans les pays arabes puissent vivre leur religion dignement !
(*) Brenton Terrant, l’auteur de l’attentat qui fit 51 morts dans une mosquée de Christchurch, en 2019, ne se réclamait d'aucune Église chrétienne. Dans son manifeste Le Grand remplacement, diffusé sur Internet, le suprémaciste blanc de nationalité australienne s’interroge lui-même sur le fait d’être chrétien : « Compliqué. Quand je le saurais, je vous le dirais ». Une réponse proche de celle d’Anders Breivik, le terroriste norvégien à l’origine des attentats d'Oslo et d'Utøya en 2011 (77 morts), qui déclarait dans son propre manifeste ne pas avoir « de relation personnelle avec Jésus-Christ et Dieu », et décrivait le pape Benoît XVI comme un « pape lâche, incompétent, corrompu et illégitime ». N.d.l.r
1 commentaires:
Merci Olivier pour ce partage très riche de sens !
Cela fait du bien de lire ce genre de témoignage et de prise de parole.
Je trouve toujours dommage qu'il faille tant se justifier de ce que l'on dit et pense en matière de Religion et de Foi.
Je me demande parfois ce qui a pu se passer pour que nous cherchions "la petite bête" au milieu des prises de paroles de représentants des différentes religions.
Quand les gens prendront-ils conscience que ce ne sont pas les religions qui font les guerres mais bel et bien ceux qui ne les comprennent pas, ou pire encore, ceux qui les jugent et les malmènent ?!
Merci d'élargir nos horizons, Olivier, par des témoignages comme celui que tu nous offres là !
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