En ce dimanche de printemps où il ne nous sera toujours pas possible de vivre une "vraie messe" (?) dans une église, n'est-ce pas une occasion unique de découvrir la magnifique méditation "eucharistique" du père jésuite Pierre Teilhard de Chardin, écrite en 1923 ?
Lors d'une expédition scientifique en Chine, tandis qu'il menait une campagne de fouilles pour mettre à jour des sites paléolithiques, dans les steppes désertiques du sud de la Mongolie-Intérieure, Teillhard ne disposait ni du pain, ni du vin ni de l'autel nécessaires pour célébrer la messe, en la fête de la Transfiguration, le 6 août 1923. Le lendemain, il écrivait ceci : "Quand je chemine à dos de mulet, des journées entières, je répète - à défaut d'autre messe - "La Messe sur le Monde."
C'est dans ce dénuement qu'il composa, à titre d'offrande à Dieu, son fameux "Hymne de l'univers", d'où est extrait le texte que je vous propose de méditer. Cette pauvreté fut pour lui l'occasion de composer une très belle paraphrase du mystère eucharistique, aux dimensions de l'univers. Le mouvement de ce texte s'inscrit dans le schéma général de la messe : offertoire, prière d'action de grâce, consécration et communion avec l'ensemble du réel : la nature et l'ensemble des vivants. Le tout transformé, "transsubstantié" par sa prière de de prêtre, à travers l'action du Christ sauveur.
La Messe sur le monde
Puisqu’une fois encore, Seigneur, dans les steppes d’Asie, je n’ai ni pain, ni vin, ni autel, je m’élèverai par-dessus les symboles jusqu’à la pure majesté du Réel, et je vous offrirai, moi votre prêtre, sur l’autel de la Terre entière, le travail et la peine du Monde.
Le soleil vient d’illuminer, là-bas, la frange extrême du premier Orient. Une fois de plus, sous la nappe mouvante de ses feux, la surface vivante de la Terre s’éveille, frémit, et recommence son effrayant labeur. Je placerai sur ma patène, ô mon Dieu, la moisson attendue de ce nouvel effort. Je verserai dans mon calice la sève de tous les fruits qui seront aujourd’hui broyés.
Mon calice et ma patène, ce sont les profondeurs d’une âme largement ouverte à toutes les forces qui, dans un instant, vont s’élever de tous les points du globe et converger vers l’Esprit. Qu’ils viennent donc à moi, le souvenir et la mystique présence de ceux que la lumière éveille pour une nouvelle journée.
Un à un, Seigneur, je les vois et les aime. […] Je les évoque, ceux dont la troupe anonyme forme la masse innombrable des vivants ; ceux qui viennent et ceux qui s’en vont ; ceux-là surtout qui, dans la vérité ou à travers l’erreur, à leur bureau, à leur laboratoire ou à l’usine, croient au progrès des Choses, et poursuivront passionnément aujourd’hui la lumière.
Cette multitude agitée, trouble et distincte, dont l’immensité nous épouvante, cet océan humain, dont les lentes et monotones oscillations jettent le trouble dans les cœurs les plus croyants, je veux qu’en ce moment mon être résonne à son murmure profond. Tout ce qui va augmenter dans le monde au cours de cette journée, tout ce qui va diminuer, tout ce qui va mourir aussi, voilà, Seigneur, ce que je m’efforce de ramasser en moi pour vous le tendre; voilà la matière de mon sacrifice, le seul dont vous ayez envie.
Recevez, Seigneur, cette Hostie totale que la Création, mue par votre attrait, vous présente à l’aube nouvelle. Ce pain, notre effort, il n’est de lui-même, je le sais, qu’une désagrégation immense. Ce vin, notre douleur, il n’est encore, hélas ! qu’un dissolvant breuvage. Mais au fond de cette masse informe, vous avez mis un irrésistible et sanctifiant désir qui nous fait tous crier, depuis l’impie jusqu’au fidèle : “Seigneur, faites-nous un”.
Verbe étincelant, Puissance ardente, sur toute vie qui va germer, croître, fleurir et mûrir en ce jour, répétez : "Ceci est mon corps." Et, sur toute mort qui s'apprête à ronger, à flétrir, à couper, commandez (mystère de foi par excellence) : "Ceci est mon sang !"
Je me prosterne, mon Dieu, devant votre Présence dans l'Univers.
Enfermez-moi en Vous, Seigneur !
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Vous pourrez trouver aisément l'ensemble de ce texte, qui fait 7 pages, en tapant : "la Messe sur le monde", sur internet. Je n'en ai cité ici que l'introduction.
Vous avez compris que chaque baptisé peut célébrer validement une telle messe, avec et sur le monde qui est le sien...
2 commentaires:
Merci, Olivier, d'avoir partagé ce texte du Père Teilhard de Chardin... Comme tu nous y encourageais, je suis allée découvrir l'ensemble de ce texte sur un autre site. Quelle puissance, quelle densité !
Cette semaine me verra sûrement relire ce texte à petites doses pour me l'approprier ...un peu !
Merci encore.
Geneviève d'Olonne
Une idée m'est venue en regardant la messe à la télévision, dans un studio de télévision, comme nous le faisons chaque dimanche avec les membres de notre équipe du Rosaire. C'est une façon d'être en communion de prière.
Je trouve que cette messe à distance est un bel exemple d'égalité sociale. En effet, combien de personnes isolées sont tristes en voyant les messes "d'avant" dans des églises où les fidèles sont rassemblés. Aujourd'hui, au delà du confinement, tout les chrétiens vivent de la même manière. Pas de sentiment d'exclusion !
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