Je ne suis pas certains que les catholiques, en France comme en Occident en général, soient bien conscients des difficultés que rencontrent leurs frères et soeurs chrétiens en Afrique. On nous donne en effet l'image de communautés joyeuses, souriantes, jeunes, dynamiques et d'une foi à déplacer les montagnes. Ceci est vrai, et nous ne pouvons que nous en réjouir. Mais il ne faudrait pas en rester à des clichés faciles, risquant de nous faire passer à côté d'un contexte difficile que nous connaissons bien mal.
Ayant été moi-même Fidei donum 9 années en Afrique, y étant retourné ensuite à diverses reprises en tant que responsable des prêtres Fidei donum français sur ce continent, pour y rencontrer ces prêtres diocésains donnant plusieurs années de leur vie sacerdotale pour soutenir la vie des Eglises en Afrique, j'ai pu faire l'expérience de l'envers du décor !
En résumé, en Afrique en général : climat très dur, sous alimentation, peu de services de soins et manque de médicaments, dirigeants souvent bien peu soucieux de la vie de leurs populations, absence de démocratie le plus souvent, chômage XXL, travail des enfants, guerres intestines, insécurité générale, peu de ressources financières, destruction de l'environnement, aucun confort, j'en passe et des meilleures !
Tout cela, je l'ai vécu et partagé, même si j'avais le soutien d'amis en France. Mais pour les amis Africains, la vie se trouvait être bien difficile ! C'est ce qui explique que bien des Africains veulent rejoindre l'Europe, dans l'espérance d'une vie meilleure. Des abbés africains suivent également ce mouvement, sachant qu'en France, ils trouveront enfin un environnement stable, une situation financière bien plus confortable, un système de soins n'ayant rien à voir à ce qu'ils pourraient connaître en Afrique, et une sécurité leur permettant de vivre enfin paisiblement. De même que leurs frères migrants, ils seront toujours les bienvenus. Et qui pourrait leur en vouloir de rechercher, comme eux, un meilleur état de vie ?
Voilà pourquoi je voulais vous parler aujourd'hui du danger, du risque que représente le fait d'être prêtre en Afrique. Voici quelques exemples parmi bien d'autres, pour expliquer cela ; ce sont des faits récents.
. le Père Paul Tatu, 45 ans, originaire du Lesotho, a été abattu d'une balle dans la nuque à Pretoria, en Afrique du Sud, le 27 avril 2024. Il était responsable des médias et de la communication au sein de la Conférence des évêques d'Afrique australe.
. le Père William Banda, d'origine zambienne, avait été abattu quelques semaines auparavant, dans une église située au nord de l'Afrique du Sud.
. l'abbé Christophe Komla Badjougou, prêtre togolais, Fidei donum au Cameroun, a été tué par balle à Yaoundé, capitale du Cameroun, le 7 octobre dernier.
. le Père Nougi Alexander Sob, curé dans la partie anglophone du Cameroun, a été abattu le 20 juillet dernier. Son corps a été retrouvé mutilé.
. 81 prêtres ont été attaqués au Nigeria en 17 ans, entre 2006 et 2023. Dans ce grand pays, les prêtres sont considérés comme des cibles ; 16 ont été assassinés.
L'on pourrait poursuivre ce triste martyrologe... Sans oublier les chrétiens qui, eux aussi, versent un lourd tribut. Mais cela peut nous aider à comprendre ce qui motive les 2.400 prêtres Africains environ qui, d'après un chiffre de 2023, ont souhaité vivre leur ministère pastoral en France, dont environ une vingtaine rien qu'en Vendée. Alors qu'en Afrique - il est utile de le signaler - les besoins sont environ trois fois plus criants qu'en France. Question : leur absence ne risque-t-elle pas de faire défaut à la mission en Afrique ?
Bien sûr, il faut maintenir cette coopération et cet échange entre les Eglises d'Europe et d'Afrique, mais peut-être de façon plus adaptée et plus réfléchie ! Continuer d'échanger des Fidei donum, mais à condition qu'arrivent des prêtres vraiment missionnaires et serviteurs. Et sans laisser l'Afrique de se priver d'un nombre peut-être trop important de prêtres qui se retrouvent au service des Blancs, des Européens, et non des populations de leur continent, qui sont en attente de bons bergers devenus parfois bien rares, sinon absents.
Souhait du Vatican : que les Eglises africaines riches en prêtres envoient plutôt des prêtres Fidei donum dans d'autres pays ou régions d'Afrique plus défavorisés, et non pas surtout en Europe ; et cela, dans le cadre d'une fraternelle coopération Sud-Sud entre Eglises.
Ceci est possible, comme en témoignent les exemples ci-dessus de Paul Tatu, de William Banda et de Christophe Komla !
A nous, Eglises en Europe et en Occident, de trouver le moyen de soutenir de tels engagements au service de l'Afrique et de la Mission !
A nous également de ne pas nous considérer comme une Eglise à bout de souffle, sous développée et sans avenir, en prenant enfin les moyens de gérer par nous-mêmes, et d'une façon nouvelle à inventer, la vitalité du Peuple de Dieu.
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Supplication du cardinal Ignace Bessi Dogbo, archevêque d'Abidjan en Côte d'Ivoire (publiée dans "La Croix" du 31 octobre 2023, alors qu'il était archevêque de Korhogo en C.I.)
Ce message ne s'adresse pas à tous les abbés Africains bien sûr !
"Alors que des missionnaires occidentaux quittent tout pour trouver le bonheur de vivre en Afrique dans des conditions qui n'ont rien à voir avec le luxe de chez eux, des prêtres africains s'éternisent en Occident pour fuir ces mêmes conditions.
Il est urgent de prier pour les prêtres africains ! Que ces prêtres ne s'égarent pas loin de leur diocèse par amour de l'argent !"