Face à l'ampleur des crimes commis par tant de prêtres - et de laïcs en responsabilité - vis-à-vis d'enfants et de jeunes, plusieurs m'ont demandé ce que j'en pensais.
Mais dois-je vous proposer une énième chronique sur cette question ?
Et si nous prenions du recul ? Et si, pour nous purifier l'esprit, l'on relisait le poète Charles Péguy ?
Voici quelques extraits d'un article du P. Robert Scholtus, théologien, paru dans "Etudes" en décembre 2014, à l'occasion du 100° anniversaire de la mort de Péguy sur le front ?
Péguy s’était éloigné de la religion de son enfance qui lui avait enseigné la réalité de l’enfer éternel qui se présente comme l’effet d’une ex-communication divine et qui a pour équivalent, dans l’ordre temporel, la misère économique qui exclut des humains de la cité terrestre. C’est pour sauver l’humanité de la misère que précisément il avait adhéré au socialisme. Le héros dreyfusard qu’il a été va progressivement entrer en contact avec la réalité de cet enfer contre lequel il a voulu mobiliser toutes ses forces. Par une double expérience : celle de sa propre exclusion du monde moderne et celle de l’expulsion du monde moderne hors de la vie vraiment vivante.
Au fil des années, il va éprouver dans sa chair ce qu’il appelle « l’enfer social moderne laïcisé », cette solitude où l’ont rejeté les modernes, ceux du parti socialiste et ceux du parti intellectuel. On fait peser sur lui et sur ses activités de gérant des Cahiers, sur ses œuvres elles-mêmes un impénétrable silence. Il connaît l’anxiété des échéances, les budgets difficiles d’une famille qui s’agrandit, le souci d’un enfant gravement malade.
En 1908 c’est lui qui tombe malade, comme par un excès de déception dont témoigne le fameux texte Nous sommes des vaincus. Cette année-là il connaît dans un « grand épuisement d’espérance » la tentation suprême du suicide, à laquelle succédera, dans les affres de l’amour impossible qu’il voue à Blanche Raphaël, celle de l’infidélité conjugale dont les Quatrains qu’il écrivit en 1911-1912 sont l’aveu poignant et ironique C’est durant ces années d’épreuve que Péguy va se tourner, non pas vers le christianisme, mais vers le Christ et relire le récit de sa Passion dans l’évangile de saint Matthieu.
Comme il le raconte dans le Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle, en 1909, il se cogne littéralement à ce « texte de l’appréhension de la mort » où se révèle l’humanité d’un Dieu qui a craint la mort, d’un Dieu vulnérable et blessé, un Dieu caché dans la détresse humaine. La mort de Jésus n’a de valeur rédemptrice que parce qu’elle fut celle d’un homme à part entière qui par « les fils innombrables » et les « points douloureux » qui nous unissent à lui nous ouvre au secret de l’inépuisable tendresse de Dieu.
Mais Péguy va interrompre ce grand texte qui ne sera publié qu’après sa mort pour faire paraître sa seconde Jeanne d’Arc, dix ans après la première : la hantise du mal universel est transfigurée par le mystère de la charité et la présence au pied de la croix d’une autre femme, Marie, à laquelle Péguy ira offrir à la cathédrale de Chartres ses Tapisseries et ses suppliques d’homme vaincu par la miséricorde.
À sa parution, Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc provoque l’ironie de ceux qui, tel Lavisse, considèrent qu’il a mis « de l’eau bénite dans son pétrole », en même temps que l’admiration aussi enthousiaste qu’embarrassante de Barrès, de Maurras et de Drumont. En publiant six mois plus tard Notre jeunesse, c’est une fin de non-recevoir qu’il adresse à ces catholiques de la droite conservatrice et antisémite qui tentent de l’annexer et de transformer sa Jeanne d’Arc en héroïne de leur nationalisme et de leur monarchisme.
Péguy ne fait plus mystère de son christianisme, mais ce n’est pas pour rallier les rangs d’une Église qui s’est honteusement employée à créer « cette illusion politique, que le mouvement dreyfusiste était un mouvement antichrétien ». L’Église qui a la faveur de Péguy est celle qui constitue socialement une communion, un peuple immense, « une religion peuple, la religion du tout un peuple, temporel, éternel », dans laquelle il revendique le statut d’excommunié qu’il définit comme « un témoin géographiquement mystiquement extérieur », mais qui n’est pas pour autant hors de l’Église puisqu’il en subit les pénalités.
Si Péguy dit cela c’est moins en référence à son refus de régulariser sa situation matrimoniale aux yeux de l’Église, comme l’y poussent avec peu d’élégance Maritain et Dom Baillet, que pour continuer à porter devant elle le témoignage des exclus et des vaincus de l’histoire,depuis à continuer à parler en somme depuis l’enfer, à tenir fidèlement la position qui a toujours été la sienne en marge des institutions et des partis, des pouvoirs et des cléricatures.
C’est aussi peut-être par refus d’être le paroissien d’un de ces curés modernes coupables de la lourde faute de mystique qui est à l’origine de la déchristianisation : « Ils ont méconnu, dit-il, oublié et méprisé le temporel, ils ont refusé de faire les frais d’une révolution temporelle », ils ont travaillé à la désincarnation du christianisme, ils n’ont pas voulu voir que « dans tout notre socialisme même il y avait infiniment plus de christianisme que dans toute la Madeleine ensemble avec Saint-Pierre de Chaillot, et Saint-Philippe du Roule, et Saint-Honoré d’Eylau».
Ce qu’on a appelé « l’anticléricalisme chrétien » de Péguy contraste étonnamment avec l’admiration que jusque dans ses derniers écrits il a portée aux juifs. Parce qu’il fut leur allié dans la défense du juif Dreyfus, et parce qu’il a appris d’eux cette patience inquiète qui est l’autre nom de leur fidélité. Un jour, il dira à Havély : « Je marche avec les Juifs, parce qu’avec les Juifs je peux être catholique, avec les catholique, je ne le pourrais pas." Catholique, Péguy a appris à le devenir de manière juive, si l'on peut dire, dans une tension permanente entre la colère prophétique et la patience de la fidélité, entre l’emportement du visionnaire et le retrait du scribe à sa table d’écriture. Une tension qui donne à son œuvre une incroyable sonorité : « Il écrit à tue-tête », disait Claudel très justement.La position qu’entend occuper Péguy est celle-là même que définit Bergson « quand il nous arrache aux asservissements du passé, aux infécondités d’un temps mort, quand il nous replace exactement dans le présent… et déjà par cela seul nous réintroduit dans une situation et dans une position chrétienne, dans la seule situation et dans la seule position chrétienne […]. Car il nous remet dans le précaire et le transitoire, et dans ce dévêtu qui fait proprement la condition de l’homme. »
Péguy n’a pas attendu les sociologues du XXIe siècle pour annoncer la naissance d’« une société inchrétienne, postchrétienne », mais il est toujours là pour convaincre les chrétiens d’aujourd’hui de la beauté inédite des « saintetés modernes », pour peu qu’ils se souviennent que le christianisme, cet « exact ajustement du temporel et de l’éternel », ne peut se vivre que sur « le tranchant de la liberté » et que la christianisation relève d’« une opération moléculaire, intérieure, histologique ».
A chacun de méditer ces lignes, et d'y rechercher ce qui peut donner un nouveau sens à ce que nous sommes appelés à vivre aujourd'hui, dans le droit fil de l'Evangile !
1 commentaires:
Bonjour Olivier
Merci pour ce beau message .
Le type d'église qui à la faveur de Péguy .
Voici tu montres à travers cet écrit que la vie est un éternel recommencement .
J'ai trouvé dans mes livres de poésies .
Présentation à Notre Dame de Chartres .1913
La position occupée de Péguy il nous replace exactement dans le présent . Il nous replace dans une position chrétienne .
La beauté inédite des saints modernes .
Exacte ajustement du temporel et de l'éternel .
Ne peut se vivre que sur * le tranchant de la liberté * c'est tellement juste .
Merci de guider à méditer sur la vie de Péguy
pour trouver le droit fil de l'évangile .
L'expression droit fil c'est génial .
Je l'ai tellement utilisé dans mon métier
Réaliser un vêtement pour se vêtir
Le droit fil d'un gabarit .
Le droit fil d'une étoffe soie laine lin coton .
L'aplomb, l'équilibre pour la beauté c'est essentiel .
C'est tellement juste .
La liberté est si difficile à obtenir .🌈
Pour suivre la logique de Péguy c'est ce que je pense .
Pendant ce weekend d'étude .
Le Père Philippe Loiseau nous à aidé à suivre le droit fil de l'évangile par la recherche les comparaisons des écritures en allant aux origines de notre religion .
Il donne des pistes pour réfléchir et partager. Comme il dit faire fonctionner notre raison avec l'intelligence du cœur 💕
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