Pas réaliste, ce Jésus ! Dans l'évangile de ce dimanche, en Matthieu 5/38-48, on l'a entendu nous dire : "Moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant." Et encore : "Moi, je vous dis : aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent." Cependant, d'après ce que nous vivons les uns et les autres, il semblerait que cela soit tout à fait impossible ! En tout cas, durant les cinquante années de ma vie de prêtre, je ne sais pas s'il s'est passé beaucoup de journées où je n'ai pas entendu des chrétiens en détresse me confier combien, après avoir été blessés, incompris, diffamés ou autres, il leur était impossible de pardonner ; et chacun de continuer à vivre, douloureusement, dans la situation d'un conflit qui paraît inexorable.
Hier encore, je rencontrais quelqu'un en grande difficulté, que j'ai essayé d'écouter de mon mieux me raconter les conflits dans lesquels il était plongé. Au bout d'un moment, après l'avoir longuement entendu, je lui ai demandé s'il avait lu les lectures de ce dimanche, pour préparer sa messe. "Non !" En avançant sur des oeufs, j'ouvris alors le missel et l'invitai à lire l'évangile de Matthieu cité plus haut. Lui alors de me répondre : "Oui, je suis d'accord ! Mais dans mon cas, ce n'est pas possible ! C'est impardonnable, ce qu'on m'a fait !"
A ce moment-là, je n'avais pas encore commencé à préparer l'homélie que je devais donner à Evrunes et Mortagne, et je me suis dit : par quel bout prendre les choses, si chacun, en écoutant l'évangile de ce dimanche, pense que, dans son cas, le conseil de Jésus invitant à aimer ses ennemis est totalement inapproprié.
J'ai repensé alors à l'histoire vécue par Francine Cockenpot, l'auteur de superbes refrains tels que "gouttes, gouttelettes de pluie", ou "colchiques dans les prés". Voici ce qui lui est arrivé, alors qu'elle venait de prendre sa retraite dans un petit village du Vaucluse : "C'était la veille de la Toussaint. J'étais seule, regardant la télévision. Soudain, mon petit chien a aboyé... Sur la terrasse se tenait un homme, masqué. Il avait en main une matraque et une bombe de gaz asphyxiant."
L'épouvantable carnage va durer près de 20 minutes. L'homme s'acharne sur elle pour s'emparer de ses faibles richesses. Il ne la lâchera que lorsqu'il la croira morte, après lui avoir brisé 3 bouteilles sur la tête. Un éclat de verre fera perdre l'oeil droit à Francine. Avant de sombrer dans l'inconscience, elle parvient cependant à ramper jusqu'au téléphone, à appeler une amie et la police.
Plus tard, lorsqu'elle sort de l'hôpital, sauvée par la solidité de son crâne de Flamande, malgré sa vue très diminuée, Francine, qui est aussi écrivain, écrit à son agresseur : des lettres qu'elle aimerait lui envoyer, si elle le connaissait. Dès le début, elle le nomme "frère", et lui demande : "Pourquoi tu as voulu me tuer ?" Dans le village, dès le lendemain de l'agression, tout le monde s'était armé ; pas elle ensuite !
Dans ses lettres, Francine hésite beaucoup à employer le mot "pardon". "A l'hôpital, explique-t-elle, le "Notre Père" me tournait dans la tête, mais je ne comprenais pas le "pardonne-nous comme nous pardonnons." Puis, sa prière devint : "Seigneur, si tu as permis cela, fais-en quelque chose de positif. Et même si je ne peux pas pardonner à cet agresseur, ne me sauve pas sans le sauver, lui!" Peu à peu, le Seigneur l'exauce ; grâce à la prière, Francine retrouve, avec le temps, le chemin de la vie.
Ecoutons-la encore : "Moi qui étais contre la violence et la peine de mort, j'aurais pu changer d'avis, en étant devenue une victime. Mais ce que j'ai vécu a été une épreuve de vérité. Aujourd'hui, je ne tirerais pas sur quelqu'un pour me défendre ; je ne veux pas abattre mes ennemis. car, si on met à mort un criminel, si on se venge, c'est qu'il nous a convertis à ses idées !"
Dans mon homélie, j'ai donc raconté ce fait. En faisant le souhait que les paroissiens pensant que les appels au pardon de Jésus ne peuvent pas les concerner, car leurs blessures sont trop graves, j'ai fait le souhait qu'ils pensent que c'est peut-être possible, puisque quelqu'un, Francine, aussi ou plus blessée qu'eux, a pu pardonner !
Attention ! Il ne s'agissait pas pour Francine d'accepter le mal que lui a fait son agresseur ; mais, par sa prière, elle a demandé au Père, avec patience et persévérance, deux choses : changer son coeur à elle, et lui, de le sauver.
Le message de Francine est le suivant : si l'on se plonge dans la prière, si l'on s'immerge, comme elle l'a fait, dans l'immense Amour du Sauveur, Dieu vient en nous pour, à travers nous, lui-même, pardonner !
Laissons le Christ faire en nous ce qu'il nous est impossible de réaliser ! N'est-ce pas cela, être adulte dans la foi, être chrétien ? Merci, Francine, de nous l'avoir révélé !
dimanche 19 février 2017
Le Blog de l'Arche de Noé 85, n° 2.040 : Peut-on tout pardonner ?
Publié par
Olivier Gaignet
à
21:09
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